Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 02:14

 

 

Genderisation_Toy-Story-Ken-et-Barbie-a-Hawai-dans-le-proch.jpgQuand Barbie et Ken remplacent les vrais personnages de films pour enfants.


Il faut crier au loup.

Les films d'animation, de Pixar, ou de Dreamworks, sont empoisonnés ! Tout le monde les a applaudis, tout le monde en a mangé et dévoré jusqu'à user ses dernières VHS avant le passage au dvd. Et pour cause ! Ces films sont conçus pour plaire stratégiquement aux adultes et aux enfants. Le raisonnement des studios est simple et élégant : puisque ce sont les parents qui conduisent les enfants voir des films, et comme ce sont les parents qui choisissent les films pour eux, et qu'ils voient les films avec eux, alors il faut faire des films qui plaisent aux parents. 

Ce que j'écris est déjà une banalité, on est d'accord.

Je répète la vulgate qui est diffusée partout au 20h dès qu'un pauvre film d'animation sort sur les écrans. L'hydre Pujadas/Schönberg/PPDA/Roselmack/Chazal nous l'annonce en boucle, c'est "pour toute la famille", "pour les grands comme pour les petits." Bref, c'est historique. Même Tintin n'avait pas réussi à convaincre. Le slogan de 7 à 77 ans n'a jamais transformé Tintin en personnage de fiction digne de l'attention des adultes. Ou plutôt ce n'est que lorsque des adultes gâteux se sont mis à regretter leur enfance en blouse noire, et la France qui va avec, qu'il a été possible de dire que Tintin pouvait être lu par tout le monde. On n'avait probablement même pas l'idée de vendre sérieusement Tintin aux adultes, tout simplement parce qu'être un adulescent interminable en 1950 n'avait rien de sexy ou légitime. Et soudain, après les déprimantes années 90, ce truc merveilleux est arrivé. Télérama, LeMonde, Libération se sont exaltés prudemment au début, puis systématiquement. 

Pourtant, dans sa constitution même, ce super-produit de divertissement tant-espéré-et-maintenant-réalité est empoisonné. Car il contient des bouts d'adultes à l'intérieur. On a stratégiquement truffé les jouets et les imaginaires enfantins de rêves d'adultes, de problèmes d'adultes, et de conneries d'adultes – et même pas pour formater très utilement les enfants au monde terrible qui les attend, mais simplement parce qu'il fallait rendre l'enfance mainstream, et vendre l'enfance de leurs enfants aux parents.


 

Genderisation_photo-The-Penguins-of-Madagascar-Happy-King-J.jpg

Hommage aux éternels célibataires dégenrés des films d'animation. Les pingouins de Madagascar.

Voir notamment l'épisode où Skipper le chef du groupe est soudain plongé dans l'incertitude de son propre sexe biologique – et où il en conclut que c'est sans importance.


 

Je me souviens des premières approbations publiques naïves qui expliquaient qu'il y avait comme deux étages compartimentés dans ces films. Il y avaient des blagues que seuls papa et maman comprenaient tandis que les enfants étaient supposés rire perpétuellement comme des cons de la démarche déginguandé de Woody et ses amis. Comme si Papa et Maman avaient le droit de faire l'amour à côté sur leurs fauteuils, et que le fiston à côté ne voyait rien parce qu'il faisait mine de regarder Shrek pour la 20ème fois. Foutaises, évidemment. 

 

Genderisation Cheerleader-Julien-penguins-of-madagascar-108King Julian, the best. La dialectique du maître et de l'esclave en bougeant son booty...

 

Le déclic s'est produit lorqu'en regardant Toy Story 2 avec des gamins, je les ai vus rire à la vanne sur Hannibal Lecter. 

Ce sont des petits cousins, charmants au demeurant, avec seulement une propension assez inquiétante à faire cramer des insectes vivants dans la cheminée. Mais mon sang s'est glacé quand j'ai entendu leurs petits rires aigus vu au moment où le méchant est embarqué avec les poupées Barbie défigurées par la gamine folle. La première fois que le film était sorti, en l'an 2000 à peu près, j'avais ri en coin, d'un "eheh" minuscule dans une salle quasi vide (séance de 22h) parce que je trouvais malin l'idée d'une référence au silence des agneaux en plein film pour enfants. Eux ils ont ri, parce qu'ils avaient pigé que les adultes les avaient mis devant un film supposé amusant, et qu'ils commençaient à se prendre très au sérieux dans leur comédie d'enfants hilares. Du coup, ils en ont déduit que "ça", ce qu'il voyait, quoi que ce soit de coloré et rythmé, devait être drôle. On aurait pu entrecouper le film d'un documentaire sur les camps, ils auraient continué à rire en fronçant à peine les sourcils d'étonnement. Souvenons-nous, les gamins ont intérêt à nous imiter. Ils savent que sans leur inimitable talent d'imitation et de comédien, on les mettrait dehors à jouer avec un fil de fer et le carton d'emballage de l'écran plasma. Bref, ils nous surveillent. Et ils vivent déjà parmi nous...

 

Genderisation_ice-age-scrat-female.jpgScrat découvre son double féminin... et résiste.

 

Alors, à part ces vannes référencées ultra-rares, on va me dire qu'il n'existe rien de plus adulte. Pas de violence sanglante, pas de sexe, pas de pistolet à moins d'être en plastique et de tirer des rayons lasers. On me dira que c'est une revisitation des contes populaires. Que tout y est, mais en plus punchy. 

Je le croyais aussi. Et doucement, au fil des années, j'ai vu les bande annonces des film d'animation 3D devenir aussi grosses que des ficelles à rôti. Au début, les histoires naissaient de bandes de héros (Toy Story, Insectes, Madagascar, l'Âge de Glace), ou alors, au contraire, des personnages solitaires : Shrek, ou Fourmiz. L'histoire se résumait de toute façon à devenir soi-même, s'accepter. Et si j'étais un peu sarcastique, je dirai que l'histoire est un classique homo : faire de sa faiblesse une force, retourner l'injure et l'assumer. Tant de pédés de ma génération qui ne ratent jamais un film d'animation... C'en est affolant. On crie en serrant nos petits poings : "oui, vas-y, Shrek, t'es vert et t'es moche, mais toi aussi tu as le droit de vivre comme tout le monde, toi aussi, tu as le droit de te marier et d'avoir des mômes". Ou alors à Woody, on s'abîme le jean contre le velours du fauteuil à force de trépigner : "vas-y Woody ne te laisse pas impressionner par les abdos parfaits de Buzz l'éclaire, montre à cette gym-queen qui est le clone qui a survécu aux années sida !" Le seul film vraiment pas gay dans son esthétique était Wall-E. Le reste est pop à mourir, et tous les méchants plus glams encore que la bouche de Jagger et Bowie réunies. 

Bref, on retrouvait nos classiques (c'était donc... en 1995 pour Toy Story... 2001 pour Shrek). Puis un nouvel élément est apparu dans toutes les suites de nos premiers héros. Tous les héros des premiers épisodes finissaient maqués. Systématiquement. Nos héros se sont trouvés une petite copine. Même pas besoin de chercher, les scénaristes leur en ont collé une dans les pattes. Ils cherchaient le chemin de l'émancipation, et soudain : bing, mieux que ça, une meuf ! Un personnage radicalement différent dont il faut s'occuper, qu'il faut écouter, consoler, protéger, suivre... Fin de l'émancipation. Je rappelle d'ailleurs à toutes les lesbiennes frustrées (dont je fais moi même partie) que les films de Miyazaki, mille fois meilleurs, sont perpétuellement centrés autour de filles ou de femmes. Pas d'inquiétude, les meilleurs sont avec nous.

 

 

 

 

Mais désormais ça ne rigole plus dans le monde de l'animation pour enfants. Les gamins doivent connaître précocement toutes les angoisses de papa maman. Je parie que dans la suite inévitable de Shrek, Fiona va se faire une vaginoplastie, et l'âne va demander les allocs pour réussir à nourrir tous ses gamins dragons. Voilà les bouts d'adultes qui flottent dans la soupe narrative, et que des enfants à peine conscients vont devoir se taper et dévorer. 

Shrek défend désormais son couple (même l'Âne avec la dragonne). Woody se trouve une cow-girl qu'il doit arracher aux griffes du vieux papa barbon. Mani le mammouth de l'âge de glace est angoissé de ne pas faire d'enfants assez tôt avant de mourir (angoisse qu'il va diffuser généreusement au paresseux, au jaguar, et à tout le public de plus de trente ans)... Et on se retrouve en 2010, avec un Shrek désormais nostalgique de son propre célibat du premier épisode. Quant au méchant de Moi, moche et méchant, il pense sérieusement à l'adoption. 

Ce n'est pas qu'une impression : la seule obsession de ces personnages enfantins est de se marier, de se reproduire, et de ne pas négliger ou battre sa femme en devenant alcoolo ou bisexuel... Et on fabrique ainsi des gamins obsédés par la différence homme/femme, maman/papa, marié/célibataire, enfants/sans enfants. 

A ceux qui vont penser une micro-seconde que j'exagère, je leur demande simplement d'imprimer la listes des derniers films : Raiponce (une princesse et son prince), Alpha et Oméga (une louve et un loup), Rio (un ara bleu mâle doit séduire une femelle ara brésilienne à laquelle il est menottée – une ode au mariage forcée ?), Roméo et Juliette au pays des nains de jardin...

Cette hypergenderisation du paysage enfantin me tape sur les nerfs. Et certainement pas parce qu'il manquerait de personnages gays (le genre dessins animés pour enfants est déjà suffisamment gay en lui-même !)... Quand j'étais gosse, je pouvais être Bambi, je pouvais être le petit chaperon rouge, ou la princesse au petit poids, ou Robin des bois ou le petit poucet. Ce qui était génial c'est que d'une certaine façon, ils n'avaient pas de sexe. Le héros/héroïne était juste "un enfant". On savait tous qu'une sorcière pouvait aussi être bien un mec qu'une meuf, et l'ogre pareil (la mère envahissante ou le père ultra-sévère). Aujourd'hui, on veut nous faire croire que les mômes ne sont préoccupés qu'à différencier le masculin du féminin, différencier ce qui a des cheveux soyeux et longs de ce qui crache et sent mauvais,  ou tomber amoureux à l'âge de cinq ans. Merde, le petit poucet il s'en branle de s'emballer une meuf ou pas. Il veut juste se casser de chez lui !....

A la limite, même si c'est un quasi fiasco à partir du milieu du film, le seul bon film sur l'enfance récemment, c'était Max et les Maximonstres. Pas parce qu'ils étaient gayfriendly, mais parce qu'il y avait un certain refus de statuer sur le sexe. Si je me souviens bien, les personnages sont sexués, mais ça ne définit pas leur mode d'être. Ils s'engueulent parce qu'ils sont chiants et c'est tout !

 

Genderisation_Max-et-les-maximonstres.jpg

 

Dans ce contexte ultra-genré, chaque trait de caractère se rapporte à une différence homme/femme. Et bien sûr, même si ça paraît radical, je le répète, Ken et Lotso du dernier Toy Story sont des personnages marqués négativement en raison même de leurs féminité. Et ces marqueurs de genre déplacés indiquent une ambiguïté morale. 

 

Genderisation_shrek-third-shrek-and-fiona-464.jpg       Genderisation_shrek-sorry.jpg

Il ne vous reste qu'à espérer que vos amis n'aient jamais ce type d'humour. 

 

Certes un personnage comme Fiona de Shrek pourrait être ambigu, mais les gamins savent bien que Fiona est encore une femme parce qu'elle porte des robes et qu'elle a des enfants – et non parce qu'elle est laide (d'ailleurs, est-elle laide ?). En revanche, la Fiona guerrière du Shrek 4 ne pouvait pas s'imposer, et devait logiquement être chassée à la fin de l'uchronie de Shrek 4. Les mini-déplacements de genre qu'on vend comme étant de la fine subversion ne se font qu'au prix d'un envahissement total des questions morales par les questions de genres. Qui plus est, ces mêmes mini-subversions ne sont jamais réellement en train d'enrayer la machine narrative. Qu'on sacrifie la virilité ou la fécondité d'un des personnages et on en rediscutera. Que Woody se fasse faire une vasectomie, et qu'il devienne un trans, et alors on pourrait commencer à penser à quelque chose de plus sérieux (et c'est ce qui arrive dans Ranma 1/2). 

Il est si facile d'identifier les personnages bons à partir de leurs caractéristiques de genres. Le petit garçon est volontaire, courageux, capable de sortir de son territoire et d'en conquérir d'autres. La petite fille est toujours belle, consolatrice, et attentiste. Shrek part, Fiona garde les mômes. Woody mouille tout le monde, et sa meuf le suit. Manny le mammouth mène le groupe, et sauve sa meuf.

Là où, dans les dessins animés de mon enfance, on montrait comment combattre sa peur, comment régner par la ruse plutôt que par la force, les historiettes que Pixar/Dreamworks tournent de plus en plus autour de l'apprentissage d'une performance de genre. Comment être une fille, comment être un garçon.

 

Genderisation_ToyStory2TInteractiveWoodyJessie.jpg

 

Alors logiquement, les seuls personnages intéressants sont les "célibataires" féroces. King Julian, le lémurien mégalo de Madagascar, Scrat, l'écureuil et sa noisette (avant qu'il se la fasse chourrer par son nouvelle acolyte féminin démoniaque), Buck, la bellette borgne qui décide d'affronter  désespérément son MobyDick version dino... ou Tracassin, l'elfe de Shrek 4. (également : tous les méchants ; parce qu'ils sont célibataires.)

Shrek peut très bien tromper sa meuf verte ou faire une thérapie, je m'en fous. L'elfe crevait l'écran. Et sa performance de genre compte moins que les signes évidents de sa ruse, son look décadent, son irrrépressible méchanceté, ou son air de rock star cocaïnée. Il a tous les signes de l'elfe entourloupeur, du leprechaun... son côté tapette est tout simplement hors sujet. Gamin, quand j'entendais le serpent Triste Sire chanter sa chanson "aie confiance", je ne me demandais pas si le serpent était une tapette ou un vrai mec, mais je reconnaissais tous les signes du menteur, du charmeur... C'est un cliché comme un autre de se dire qu'un mec qui parle bien en ayant une sorte de sifflement, est un hypocrite. Mais c'est un cliché qui est attaché à un défaut moral (ou à une vertu), et qui n'est pas déduit d'un genre. Et au final, c'est un cliché utile. Les gamins nourris au Pixar/Dreamworks seront eux tout juste capables de reconnaître des filles plus ou moins féminines, des garçons plus ou moins masculins, et ils pourront même les humilier de façon plus ou moins inventive, mais ils seront incapable de se méfier d'un véritable manipulateur.

 

Genderisation_Tracassin-Shrek-4.jpgTracassin et sa galerie de déviants... Entre sorcières lesbiennes, et loup interlope...

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Très bon article! Ca fait plaisir de mettre enfin des mots juste sur des pensées.
Répondre
N
<br /> <br /> ce sont les mots d'un mec qui écrit souvent très tard le soir en se bousillant les yeux sur son écran... alors si ça peut aider, c'est déjà ma petite consolation perso. Cimer<br /> <br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Gays and Geeks
  • : Le blog du mec avec qui vous aimeriez parler dans un café de tout et n'importe quoi – mais que vous hésiteriez à rappeler pour en boire un deuxième parce qu'il a quand même l'air flippant et immature. Bref, le blog d'un queutard romantique qui essaie de trouver la paix intérieure et le salut par la culture pop. D'intello qui lit encore Naruto. De fan de Kele Okereke qui n'arrive pas à aimer son dernier album.
  • Contact

Recherche

Liens