Enfin du désespoir dans les yeux de nos jouets...
Tout est à chier dans Toy Story 3. Mais s'il n'y avait qu'une chose à retenir ce serait la fin. Quand ils sont complètement perdus, sur le point de tous mourir, dans l'usine à recycler, et qu'ils descendent vers l'incinérateur. Ce passage a quelque chose d'infernal – véritablement, et de façon adulte – infernal et dantesque. L'espoir est enfin banni du film (pour un court moment malheureusement).
Le malthusianisme selon Pixar. Au début tous ces jouets, ça a des côtés sympas,
puis il faut bien penser à mettre tout ça à la poubelle.
Résumé : les jouets ont réussi à s'enfuir de la garderie maudite à l'exception de Woody qui tombe dans la benne à ordure, entraîné par le méchant ours rose mafieux Lotso. Ils sautent tous pour sauver le gentil cow boy hétéro des pattes poilues du méchant ours pédé (le code couleur laisse assez peu de place à l'imagination sur ce coup : tous les personnages vaguement féminisés, Ken ou Lotso sont mauvais, hypocrites et pervers). Dès le moment où ils se trouvent dans la benne, c'est le début de la fin. Pendant tous les chapitres de Toy Story précédents, on a appris à craindre que le moindre événement domestique se transforme en catastrophe existentiel. Être abandonné. Devoir traverser une rue. Être offert à la garderie. Alors au moment où les personnages sont emmenés à la station d'incinération, on en frémit. Car même s'ils évitent la crémation, ils ne pourront pas revenir chez eux, à moins d'un ultime chapitre "Toy Story 4, a long way back home, part one".
Ken et Lotso. Le point commun des méchants... c'est le rose.
Mais c'est encore pire. Le transport au milieu des ordures est en soi une humiliation. Les jouets avaient réussi à rester à peu près propres jusque là. Maintenant, comme on a été un petit garçon un jour, on sait que ceux qui passent au milieu des ordures sont condamnés à être jetés purement et simplement. Ils sont trop sales. Mais ce n'est que le début, il y a des pièges et encore des pièges à éviter dans l'usine. Mille déchiquètements, mille broyages. Et on ne peut pas s'empêcher de se dire : "Mais à quoi bon ? De toute façon, il vous faudrait au moins deux trilogies entières pour refaire ne serait-ce que le parcours des éboueurs." A partir de ce passage-là, il y a quelque chose de fou. Les personnages ne luttent plus que pour leur survie, et même plus pour un dénouement heureux. Et ils luttent sans aucun plan, poussés par la seule énergie du désespoir (mais il faut se souvenir que nos amis ne sont pas non plus des flèches... dans le Toy Story 2, déjà, le projet traverser la rue leur prend deux plombes à élaborer – et celui de la retraverser prend la dernière demi heure du film).
Ultimement Woody sauve la peau de Lotso. Cette aide semble la rédemption qu'attendait le spectateur depuis le début. Alors quand on voit Losto escalader l'échelle grâce à Woody, pour enfoncer le bouton qui stopperait le calvaire des jouets, on se dit : "enfin, le tour est joué. La leçon de l'amitié et de l'entraide nous a été infligé à grands coups de suspense et de frayeur." Mais une fois n'est pas coutume : pas de rédemption pour le méchant. L'hypocrite grosse tapettte de Lotso fait mine d'appuyer sur le bouton et se ravise au dernier moment, comme un enculé. Et il fuit en riant comme une mouette. Alors les jouets jettent leurs dernières forces dans une course à contre sens sur le tapis roulant. En vain. Ils tombent au milieu des déchets. Ils sont perdus. Mais ils parviennent à se retrouver, au beau milieu de bouts de caoutchouc et de plastique fumants. Et ils contemplent ce qui les attend : une fournaise rougeoyante qui fume comme les bouches de l'enfer.
Un vrai incinérateur. Comme dans le dessin animé.
Les objets peuvent mourir. Avant, on disait seulement que les jouets peuvent vieillir mais qu'ils pouvaient renaître éternellement, c'était le premier et le deuxième épisode (épisode bouddhiste, donc). Même dans ce dernier volet, la petite voiture-téléphone (que j'ai eue quand j'étais gosse... putain de merde) peut crever comme un vulgaire polymère fondant. Alors, le film prend une vraie dimension adulte. Nos héros les jouets hétéronormés et proprets vont connaître la peur de la mort. Leur plastique va commencer à chauffer. On les anticipe déformés progressivement, les yeux dégoulinants comme dans Total Recall quand les têtes des mecs explosent en respirant l'air de la planète Mars. Une cruelle fin matérialiste les attend. Ultimement, ils se regardent et comprennent ce qu'est la mort. Ce n'est pas un dernier piège qu'il suffirait d'éviter en sautant le poing en l'air comme un énième Mario bros. Ils ne peuvent plus rien éviter. Ils se regardent et ils se tendent la main. "Live together, die together." C'est vraiment touchant. Leurs visages figés gagnent soudain une nuance de pudeur, et par contraste, d'intériorité.
Si vous ne le saviez pas... l'enfer ça ressemble à un incinérateur. La preuve par cette gravure de G. Doré.
A moins que ce ne soit le paradis, la rose céleste du 10ème cercle, bref, l'empyrée... où ceux qui s'aiment se rejoignent dans une contemplation infinie.
Et puis soudain, les trois petits martiens activent la grande pince pour aller sauver leurs amis. Oui les trois petits aliens (à trois yeux) super sympas qui répètent "le Grappin" comme des dévôts d'un rite cosmique. C'est rigolo, non ?...
Non.
Le deus ex machina selon Pixar...
C'est un coup bas à tout ce qu'il y avait de beau dans ce film. Bien sûr, on peut dire : c'est fait exprès pour qu'on voit les ficelles, pour qu'on sache que cette pirouette n'est qu'un deus ex machina comme il en existe dans tous les films pour enfants. Les héros ne peuvent pas mourir, mais on leur rappelle qu'ils le peuvent. Les enfants verront un jour à quel point les trois petits martiens sont des personnages qui servent à mettre en abîme la licence artistique du créateur. Mais... c'est justement le point important, cette subtilité n'en est pas une si elle sert à ce point à effacer tout ce que le film avait de perturbant. C'est une lâcheté. Le propre de ces héros est déjà d'échapper perpétuellement au danger. Ce coup de théâtre n'est pas plus subtil que les autres, c'est juste un retour à la normal des plus banals. Le vrai extraordinaire était la mort imminente des personnages, leur désespoir, et finalement leur dignité. Tout ça balayé par une mise en abîme bâclée... Décidément, je hais les mise en abîme. Ce sont des twists arrogants qui sabotent toujours une histoire plutôt que de l'intégrer dans une totalité supérieure (parce que oui, je suis en train de relire Hegel). Puisse la dialectique de l'histoire universelle punir les scénaristes de Toy Story 3 !