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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 23:29

 

Laconquete_sarkoboys.jpg


Je vous propose une hypothèse, et je vais la suivre jusqu'au bout pour voir si elle marche : le film la Conquête est aussi nihiliste, cynique et vide que la vie politique française elle-même.

 

Laconquete_affiche.jpg

Vous ne comprendrez l'affiche qu'en milieu de film, et ça ne vous fera pas tellement rire. 

 

1. Tout comme dans la vie politique française, il se résume à une compile de petites phrases.

C'est déjà ça ? Faut voir. J'ai tenté d'en retenir une. Mais aucune ne peut être séparée de son contexte d'origine pour être drôle. Ce sont des blagues française de souche. Elles ne se déracinent pas. Vous ne pourrez pas regarder le film pour trouver quelques idées nouvelles prêtes à être jetées à la face de vos amis. Vous ne pourrez pas non plus en faire un t-shirt ou l'utiliser près de la machine à café. 

Exemple avec De Villepin : "ce nain va nous faire une France à sa taille" (j'essaie d'innover, toutes les autres vacheries étaient déjà dans la bande annonce). Certes c'est méchant et drôle, mais que si vous rapportez cette phrase à Sarkozy en acceptant qu'il soit traité de nain. Donc la phrase est méchant si vous êtes déjà méchant, et partisan. 


 

La seule boutade utilisable reste donc celle de la bande annonce. Il faut s'en souvenir à chaque pétage de plombs lors d'une négociation serrée pour savoir si vous allez manger japonais, Macdo ou italien. Vous faites mine de partir et vous vous retournez et en guise de coup de bluffe suprême, vous lâchez : "n'oubliez pas, je suis une ferrari, quand vous ouvrez le capot, c'est avec des gants blancs." (Marche aussi pour la capote.... peut-être...)

Mais il n'y a pas de phrase politique juste. Ce sont de simples remarques stratégiques. On reste au niveau machiavélien lambda du discours politique. On parle sondage, image et tronçonnage des adversaires politiques. On (les journalistes politiques) fait comme s'il était très savant de savoir que les hommes politiques sont aussi des créatures imaginaires et rusées. Le moindre poivrot accoudé à son bar depuis la nuit des temps le sait, mais il boit son verre tout seul et il n'émarge pas au Figaro. Et du coup, lui au moins ne sape pas les convictions politiques des autres sous prétexte que les hommes politiques sont des monstres pervers au service du peuple.

Le mini-moment de premier degré tranche alors radicalement par la soudaine densité de contenu. On a envie d'y croire, tellement le reste du film suffoque de nihilisme. Henri Guaino semble croire à ce qu'il écrit : il commence à citer Jaurès ou à faire des références à une partie de l'histoire de France... Enfin, on est supposé se creuser un peu la tête pour se souvenir de ce que disait Jaurès, de qui est Carnot, de ce qu'était Valmy, et de si la France d'aujourd'hui c'est vraiment celle des croisades (le con a essayé deux fois le même coup apparemment)... On en est arrivé à ce niveau de vide intellectuel qu'une moindre oasis au milieu du désert nous fait halluciner sur cent kilomètres. Mais malheureusement, ce petit moment d'intelligence est tout de suite dissout dans une vanne. Nicolas approche et dit à Guaino : "la politique c'est un boulot de cons fait par des hommes intelligents. – Pas tous. – Pas tous quoi, des cons ? – Ah non, tous les hommes politiques ne sont pas tous intelligents – Ahahah, Henri, toi t'es vraiment un as, tiens vas-y, remets Naruto dans la PS3, on va se refaire une partie... Et celui qui perd écrit un discours politique à l'autre !" (la fin de la conversation m'a été racontée par un journaliste qui connaît un journaliste qui a un pote qui bosse dans un Sofitel...)

 

laconquete_cecilia.jpg

 

2. Le film dégage la même ambiance de comédie française lourdingue qu'une discussion familiale arrosée en fin de repas.

C'est comme regarder un débat télévisé avec votre vieux père qui fait les commentaires. Il a tout vu, il sait sûr de sûr que c'est le fric qui dirige le monde, et que tous les hommes politiques sont des queutards. ("Bien sûr papa, mais tu m'empêches d'entendre ce que les mecs à la télé disent.") Le film provoque le même effet. A chaque scène de meeting, le réalisateur a sorti une musique de flonflon suprêmement ringarde pour bien nous faire comprendre que "eh, fiston, la politique, c'est de la comédie..." Et vous avez juste envie de répondre : "Putain, papa, j'essaie de comprendre ce que le mec raconte !" 

Et évidemment, l'effet de tout ça, est que, passé un certain moment, comme au temps de notre surexposition aux Guignols de l'info, on se met à penser que plus rien ne compte beaucoup, et que de toute façon, le pauvre Sarko est sympa parce que Villepin est méchant. La mise en scène est digne d'un remake du bébête show. Tout est figé, théâtral, les antagonismes sentent le formol (Sarko est "atlantiste, libéral et communautariste"... triple vanne). Le texte est lu à la virgule près (ce qui est stupide puisqu'il est tiré de conversations orales... donc vivantes). Même le Petit Journal de Yann Barthès sur Canal est plus inventif, puisqu'il commente des images plus quotidiennes, plus anodines de la vie politique française. Et il a le devoir de s'approprier ces images dérisoires par une ironie plus féroce. Perdu sous les dorures, avec Sarko et Villepin, on est avec le Louis de Funès balourd de La Folie des grandeurs. Villepin fait chauffer les muscles en courant le long de la plage alors que Sarko déprime et bouffe des chocolats parce qu'il se fait larguer par sa meuf. 

 

Laconquête Sarko pieds sur la table

 

3. Enfin, comme dans la vraie vie : la gauche est totalement absente, morte, comme si elle n'avait jamais existé – "ringardisée" pour l'éternité !

Horrible goût dans la bouche. L'impression d'avoir sucé Chirac une deuxième fois... Ségolène Royal qui fait quand même 47% n'est que l'occasion de quelques blagues de bureau. Mais c'est plié. Sarko avait été choisi par les dieux du Rotary et de la France populaire pour devenir président. Son seul souci, tellement tout ça était évident, est de gagner l'affection de Cécilia une dernière fois. 

Quand bien même, ce serait exactement comme ça que Sarko voit les choses, il y a tout de même une erreur sur le film : soit l'idée est rapporter tous les faits, et on parle de la gauche (le film ne se gêne pas pour accuser Villepin dans  l'affaire Clearstream après tout), soit on est plongé dans le monde de Nico, et là, on a le droit à un peu plus de mouvement, de mauvais goût, de déprime et d'énergie. Un seul épisode de Misfits est mieux mis en scène et plus prenant...

Mais en oubliant la gauche, le film donne du crédit à la thèse de Sarko selon laquelle, il aurait tellement fait bouger les lignes que la gauche n'existe plus. Le point de vue exprimé diégétiquement par le "personnage" de Sarko est confirmé formellement par le film. Et pourtant dieu sait qu'on se fout complètement de Cécilia. Elle n'est pas mystérieuse dans un sens religieu, elle est mystérieuse comme un personnage inconsistant, informe (ah oui, j'oubliais aussi : Rachida Dati passe pour une vraie salope). Le moment ultime et romantique du film : Sarko lui demande rester. "Tu ne peux pas partir sur un coup de tête. – Non, je pars sur un coup de coeur..." Noooooon....argh.... 

s'il n'y avait pas l'excuse de l'enquête journalistique derrière, cette réplique devrait automatiquement provoquer l'auto-destruction de la bobine ! Et vous savez quoi : oui, en plus, il y a les violons qui couvrent les éclats de voix, les cuts répétés du psychodrame, et j'ai même cru voir un ralenti (mon souvenir, en tout cas, l'imagine très clairement). C'est insupportable de cliché. La seule vraie résistance à Sarko, c'est sa femme qui se casse avec un publicitaire. Tout ça aurait surtout fait un très bon Chabrol. 

Alors que reste-t-il de la gauche ? Un parfum. La seule figure de gauche qui apparaît est cet ouvrier qui interpelle Sarko lorsqu'il descend dans l'usine pour se forger une image de présidentiable proche du peuple. Sarkozy lui fait sa blague récurrente (qui en dirait autant qu'un rêve récurrent) : il projette son ambition chez les autres pour les mettre dans une position d'inconfort assez drôle (parce que ce n'est qu'en projetant dans l'autre ses propres désirs qu'il doit pouvoir finalement réussir à leur répondre – en monologue permanent). Il lance à celui qui l'a emmerdé : "Dis donc, vous avez de l'énergie, vous... vous allez bientôt pouvoir prendre mon job". Et l'ouvrier lui répond : "et vous, vous prendrez le mien ?" A partir de là, Sarkozy demande qu'on lui sélectionne de meilleurs figurants pendant les discours, et le film également perd la trace du seul authentique instant de résistance. 

 

Laconquete_meeting.jpg

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