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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 23:07

 

Conan john buscema conan 001

 

Mon père est, encore à ce jour, fan de Conan le Barbare. Inconditionnel. Il les a sans doute tous lus, les bons comme les mauvais. Conan le barbare représente pour lui une sorte de matière organique, si réelle et si prenante que les histoires, et les monstres ou les femmes en tenues d'esclaves orientales ne forment qu'un seul et même rêve vivant. Avant de les lire, il s'enfermait dans la cave, puis – après de mystérieux travaux bruyants et sans doute très laborieux d'où la configuration de la cave ressortait toujours modifiée – il en réémergeait, prenait un Conan, et le lisait tranquillement dans sa chambre, véritable taverne de bédés hétéroclites. Et si je lui demandais ce qu'il aimait dans cette série (alors que je me baladais avec des Strange et des Titans aux couleurs criardes sous le bras), il me regardait, et après avoir tiré une longue taffe sur sa gitane maïs, il me répondait simplement en désignant par tapotement la couverture où Conan transperce un serpent gros comme un tronc de sequoïa que... c'est du "très beau dessin noir et blanc". Mon père : un esthète.

Voici comment j'ai appris l'essentiel : le dénuement est la force de Conan le Barbare. C'est l'archétype du héros masculin, réduit à une peau de bête autour des couilles. Pas de super pouvoirs, pas de costume glam, pas de copains animal sympa. Et mon père avait raison, il y a une dimension esthétique à ce dénuement. Il ne reste plus que les décors somptueux pour donner corps à ce personnage dénué de psychologie. Le film tient d'ailleurs ses promesses de ce côté-là. Pas de psychologie, et parfois de très belles toiles friedrichiennes.

 

Conan_frazetta.jpg

Quel meilleur moyen de locomotion qu'un lézard lunaire, franchement ?


Il faut l'accepter en préambule : Conan le Barbare. Tout est dans le titre. Car être barbare c'est un concept qu'on peut prendre au sérieux. Le personnage a vraiment conscience d'être un barbare. Il le répète, il est Cimmérien, et de temps en temps il est même soucieux de combattre les clichés, en expliquant que bon, il est barbare mais qu'au moins il est contre l'esclavage, pas comme les autres soi-disants civilisations impérialistes !

De préférence, à ne pas voir dans une salle où le son est super fort. Parce que dès le début, le coup d'épée ne fait pas que transpercer le ventre de la mère barbare de Conan le Barbare, il vous explose les tympans, avec des bruits de gargouillis/dégueulis bizarres (parce que le bruit du sang qui coule c'est toujours le bruit d'un vomissement étrange, comme pratiqué par un autre orifice que la bouche). Et au beau milieu de ce cataclysme sonore, Conan est né. Sa mère ressemble un peu à Nolwenn Leroy, mais c'est un détail, parce qu'elle ne vit pas bien longtemps. C'est la guerre, papa Ron Perlman écrase d'autres barbares, et il a juste le temps de sortir l'enfant en pratiquant une sorte de césarienne à vif avec le tranchant de l'épée. Le döppelganger barbare de Nolwenn Leroy meurt en voyant son enfant, parce que, tradition oblige, il faut voir l'enfant pour lui donner un nom. Donc c'est con, elle meurt, Conan vit.

Et Conan, c'est un taré. 

Y'a une épreuve sympa pour voir qui sera le chef du village. Il faut traverser les bois sans faire tomber un oeuf. C'est cool, ça a l'air sympa, c'est un peu comme dans les séries américaines quand les lycéens doivent prendre soin d'un oeuf (qui représente, adéquatement, un bébé). Sauf qu'en général le héros n'y arrive pas, et finit par comprendre qu'il devrait plus respecter son père et sa mère pour ne pas lui avoir déjà exploser le crâne comme un oeuf. Eh bien, Conan, lui garde l'oeuf dans la bouche, et décapite au passage quatre autres barbares hyper forts – mais assez malhabillés et un peu limite côté virilité. Son père, comme le spectateur, se rend un peu compte du problème : Conan a le sang chaud. 

 

conan-the-barbarian-in-3d-.jpg

 

Pourtant, le délire est contenu dans une forme semi-mythique assez drôle. 

1) Conan a bu le sang de sa mère à la place du lait. Forcément ça explique tout.

2) Et il y a une petite question initiatique pour calmer le futur délinquant que représente Conan. Son père lui demande ce qu'il faut pour faire une épée : "euh, plutôt le feu ou plutôt la glace ?" Franchement s'il avait répondu la glace, le gamin méritait de recommencer sa maternelle forgeron/guerrier avec spécialité découpage de tête. Intérieurement, je me disais qu'il s'agissait du feu (ils se servent d'eau pour refroidir l'épée, et non de glace). Et Conan, il est dans la même expectative que moi ! Il dit euh, feu, euh glace, euh feu ! Et – eheheh – en fait, il faut les deux, sinon l'épée sera fragile, Conan... dure mais fragile. Car le différentiel de température garantit une solidité bien plus grande (le père barbare n'explique pas ça, mais c'est la seule possibilité). Ouais ouais ouais... Et là, Conan, il se calme, parce qu'il pige bien qu'au fond, on parle pas de l'épée ; on parle de lui. C'est une super technique pour tous les CPE venus et à venir : vous prenez le gamin dans votre bureau, vous lui racontez l'histoire de l'oeuf à la coque que vous avez fait cuir ce matin, dont vous avez cassé le sommet d'un coup sec, puis extrait le jaune à l'intérieur en regardant s'effriter la coquille adjacente... Et vous concluez en le regardant bien au fond des yeux : oui, oui, tu as bien compris, c'est de toi, Kévin, dont je parle...

 

Conan_frank_frazetta_deathdealervi.jpg

Un vrai modèle pour la jeunesse anglaise.

Conan fait se TIG en butant des serpents géants.

 

3) Mais disons que la profondeur de Conan, en tant que personnage, c'est d'être complètement à contre-courant du monde magique et pseudo héroïc fantasy dans lequel il vit : il est matérialiste, pragmatique, athée, et anarchiste (autant dire que la fondation d'un éventuel hyper empire du mal galactique, il s'en fout royalement)... Il ne croit en rien, pas de dieu, juste en son épée forgé par papa. Et les cimmériens, comme le méchant le dit lui-même, ils ne croient vraiment en que dalle. Pas même dans la magie du méchant, pourtant nécromancien de renom, et de père en fille (toute la question est de savoir comment le père est devenu nécromancien – encore un qui est resté trop proche de sa mère). Les sorcières, les Cimmériens, ils s'en foutent, ils les embrochent en les poussant du haut des rambardes, un point c'est tout. Autrement dit, Conan correspond vraiment au barbare, il est l'essence même du barbare. Et il attend toutes les sorcières du monde en haut d'une montagne (ou d'une grotte, ou d'un échafaudage) pour les précipiter dans le vide – une façon relativement répandue de mourir à cette époque.

Politiquement, donc, il incarne un truc assez marrant. Ses potes blacks et métisses ont des rastas, et ils vivent dans un bateau un peu rafistolé, et ils s'arrêtent dans tous les bars sympas du coin – d'aucuns (dont je suis) verraient une allusion à la métaphore que Paul Gilroy, fer de lance des cultural studies, emploie pour décrire la diaspora noire dans Atlantique Noir... – Right, exactly ! Ce n'est pas du tout forcé du tout. Mais on peut aussi se dire que, forcément, Conan devait avoir un copain black sympa, parce que lui-même prend la vengeance un peu trop au sérieux (il rit juste avant de défoncer un mec). Du coup, son pote c'est le genre super-papa antillais qui fume des joints, entourés de mecs qui dorment dans des hamacs, et dont la population se renouvelle d'elle-même après chaque guerre et trucidation. Et en plus, il peut garder la copine de Conan sans pour autant la draguer. 

 

Conan_the_Barbarian_potes-rasta.jpg

Des amis rasta comme on les aime.

Peut-être une représentation barbare de Paul Gilroy, qui sait ?

 

Et qu'est-ce qu'aiment faire tous ces anars rastafaris ? Buter des marchands d'esclaves à la pelle, bien sûr ! C'est comme cent épisodes de Stargate Atlantis concentré en un seul tellement ils libèrent de peuples à la fois. C'est drôle à quel point le monde de Conan est bourré d'esclaves ! Soit tu es esclave, soit tu es esclavagiste, en somme. Pour le coup, ceux qui ont trouvé Case Départ un peu trop light seront servis en allusion. Ils en croisent partout des esclaves, ils posent un pied par terre, et bing, il y avait une grosse pierre au même endroit – ronde en plus –, alors des marchands d'esclaves apportent des mecs pour leur faire tirer la pierre ! Superbe occase pour Conan et ses potos de tuer, éviscérer et couper des têtes (au passage, il fait mauvais être rebeu dans le film – ils sont soit voleurs, soit marchands d'esclaves). Et si les esclave se plaignent d'être libres et malfamés, eh bien, toute la bande fait monter les plus jolies esclaves à bord de leur navire métissé pour s'en occuper à coup de coupé/décalé, et on laisse juste une orange aux autres... pour qu'ils se la partagent entre eux. La grande classe. 

 

Conan_jason_10.jpg

Même "au naturel" Jason Momoa donne l'impression d'être déguisé pour au moins cinq films différents...

 

Plus sérieusement, le film n'est supportable que si on n'est pas soi-même une femme, ou si on aime voir les aisselles velues de Jason Momoa, l'acteur d'Honolulu qui pourrait ouvrir des bières avec ses arcades sourcilières (qui jouait aussi dans Alerte à Malibu et Game of Thrones). Note pour l'IMDB : ce mec a un cul incroyable – et là, les féministes prennent incomplètement leur revanche en observant l'objectivation du corps masculin. Il est posé là, dans la paille d'une écurie post-coïtale, à l'aurore. Il ne bouge pas encore. Déjà un beau cul. Et soudain, sa copine qui s'était barrée avant qu'il ne se réveille l'appelle parce qu'elle est embêtée par les méchants. Avec un  simple mouvement pour lever la tête, il arrive à faire frémir tous les muscles de son corps jusqu'à bander complètement ceux de son fessier. Et se lèvent soudain, absentes de toute recherche google "Jason Momoa naked", deux fesses dorées, dures comme l'épée de Conan, et fraîches comme des pains au chocolat pour un petit déj' en amoureux. Je crois avoir entendu des rires dans la salle (remplis de mecs de plus de trente ans, et qui généralement ne rit que lorsqu'ils sont gênés – eheheh).

Mais le reste du film n'est pas mauvais. Conan se prend des coups d'épées qui ne coupent pas (mais qui qui cognent comme dans les jeux de baston), il tue des méchants un à un, et lutte contre l'impérialisme des Nécromanciens. C'est le plus marrant. Les nécromanciens, c'est comme une vieille famille d'aristos dégénérés, avec juste papa et sa fifille, qui n'ont pas encore compris à quel point le monde avait changé. Sans me lancer dans une analyse compliquée, il y a juste ça : le top en ce moment, c'est de prôner le démantèlement d'empires fantoches, de contrecarrer les tentatives d'unification (et donc de totalitarisme – si on veut). Politiquement, les méchants des films sont toujours impérialistes (unification par la conquête, et soumission par la violence) : Star Wars, Seigneur des Anneaux, Avatar, euh... (je cherche je cherche), Harry Potter aussi (puisqu'au fond Harry Potter c'est la fin de l'autonomie du secteur de l'éducation, et sa reprise en main sanglante au nom d'objectifs politiques !)... 

 

Conan Khalar Zym

Le méchant quinqua... Il fait peur parce qu'il est vieux, qu'il est impérialiste et qu'il profite de vos contributions retraites.

 

Dans Conan, aussi, il y a une couronne partagée en plein de petits bouts qu'il ne faut pas retrouver. Pas de pot, c'est fait dès le début du film. Mais le scénario n'est pas très regardant sur le pouvoir de la couronne de Nécromancien (à la limite, on aurait aimé plutôt connaître la première histoire, celle du barbare qui a détruit la couronne). Même lorsque la couronne marche et qu'elle bouge un peu façon cafard, le méchant ne gagne aucun pouvoir. L'anarchisme de Conan triomphe au sein du film. Le méchant a beau répèter qu'il va se transformer en dieu, il reste un vieux pervers facile à dégommer. 

Car le truc fort, de Conan, c'est qu'il ne croit en rien, et surtout pas dans la mystification du pouvoir. Ses potes le lui disent d'ailleurs au milieu du film, après qu'il ait déjà cherché trois fois à buter le méchant : quoi qu'il fasse, à partir de là, il a déjà gagné. Car tout le monde sait désormais que le méchant n'est pas invincible, et qu'il n'est qu'un homme mortel (cf le discours de Neville Londubat lors de l'affrontement ultime contre Voldemort). Conan ruine les croyances autant que les colonnes vertébrales. Enfin, un héros athée ! Le discours de Conan sur le monde est au fond que les hommes sont prioritairement esclaves de leurs préjugés et de superstition. Et que les hommes politiques les tiennent en répandant à leur sujet des superstitions terrifiantes. "Soyez résolus à ne plus servir et vous serez libres".

 

Conan-The-Barbarian-Movie-Jason-Momoa

Conan libère les peuples en les rendant athées...

 

Alors, d'accord, il dit aussi qu'il aime vivre l'instant présent, qu'il mange, qu'il tue, et qu'il... euh, je ne sais plus (mais il n'a pas dit "meurs", alors que ça aurait eu un peu plus de gueule). Mais vraiment, Conan le Barbare a lu sans le savoir Etienne de La Boétie. Le film aurait pu s'appeler : "De la servitude volontaire", avec pour sous-titre, et "si tu crois encore à toutes ces conneries de pouvoir magique à la fin du film, eh ben mets toi toi-même un coup de hache dans la gueule."

Autant être prévenu : pas de dragon, pas de d'enchanteurs, et pas de prophétie, oh non, surtout pas de prophétie dans le monde de Conan. C'est ce qui est bon. Conan, c'est juste de la boxe. Il vient, il se bat, il coupe un bout d'oreille, et il perd ; il revient encore, il se bat encore (un deuxième bout d'oreille), il reperd ; et il revient une troisième fois, mais avec une meuf et des potes, et il gagne. Il y a un minimum de transfert phallique papa-fiston, mais c'est tolérable. Et surtout, à la fin, il plante la meuf pour aller rejoindre ses potes. Et qui sait ce qui se passe dans les cales après...?

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