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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 23:58

 

Come-as-you-are_mc-donald-venez-comme-vous-etes.jpg

"Venez comme vous êtes..." – d'accord, mais vous êtes combien au juste ?...

Le reflet terrifiant et schozphrénique de l'homme contemporain dans le prisme Mac Do (BTC EuroSCG)...

 

A l'époque de "Come as you are", en 1992, les voisins de ma banlieue pavillonnaire de classe moyenne fumaient des joints dans des parcs de classe moyenne – propres et déserts, sauf le samedi et le dimanche, jours des familles.

J'ai fait partie de ces mecs qui glandaient autour d'un banc. Ou plutôt, je les ai regardés défoncés, attendu qu'ils soient bien cuits, et profité de leur défonce pour avoir avec eux des conversations qu'ils n'auraient jamais eu sinon : des conversations un peu trash, un peu mélancoliques, métaphysiques... en espérant qu'un jour peut-être, lassés de ne pas baiser, ou parce que je les avait éblouis de remarques cinglantes, l'un d'eux m'accorderait le bénéfice d'une pipe.

Bref, tout le monde fumait, sauf moi, l'admirateur facétieux de leur virilité débraillé. Mais tout le monde convenait que Nirvana, le grunge, le nihilisme, serait notre horizon culturel à jamais. Nous étions conscient d'être la génération X (ou sida). Impossible d'imaginer ça pour la génération d'après, qui se compromettrait dans la tecktonik – autre mode de la classe moyenne. Eux ont les crocs suffisamment acérés pour bouffer tous les mecs de mon âge, nous machouiller, puis se curer leurs petites dents en regardant nos restes disparaître au fond du fleuve (métaphore bricolée à partir de bouts piranha 3D, d'une rediff des Dents de la Mer, et d'un souvenir de Lake Placid). Et quand on écoutait "Come as you are", même sans comprendre les paroles, on savait d'emblée que ça voulait dire qu'il fallait se foutre en l'air, ou au moins compenser en développant la relation la plus masochiste possible avec son ancien pote d'enfance de la même classe moyenne que nous.

Puis le temps a passé. Et comme dirait un Grec : l'homme d'hier n'est pas l'homme d'aujourd'hui. J'ai eu de l'argent pour aller manger plus souvent au Mac Do. J'ai même commencé à avoir l'âge et la volonté de réussir suffisante pour analyser une pub cool les yeux fermés tout en sachant que la cible de la pub, c'était moi. J'étais devenu un branleur légitime quoi, ce genre de mec qu'on appelle un adulte.

 

 

"viens comme tu es... comme je voudrais que toi..."

 

Et soudain... j'ai compris que la pub Macdo du "Venez comme vous êtes" était le copier/coller/traduit/déformé de la chanson de Nirvana. Dios mio ! D'abord j'avais trois ans de retard... puisque la campagne a été lancé en 2008. Et surtout, je n'avais tout simplement pas pris conscience d'à quel point j'avais changé d'époque. En dix ans, les injonctions paradoxales "viens comme tu es" ou "sois toi-même" – dont se moquait Kurt par anticipation de toutes les campagnes de pub coolos à venir – s'est mis à signifier quelque chose de positif. Partout dans les airs s'était répandu l'appel magique à devenir soi-même, i. e. être beau, cool, créatif, aussi modulable et aussi recombinable que l'avatar Sacboy de little big planet. Enfin, comble du comble, il a fallu qu'aujourd'hui on se mette à jouer avec son look, ce truc que tout bon grunge ou simple ado des années 90 avait normalement définitivement sacrifié (et les futurs vieux d'aujourd'hui nous gonfleront sûrement encore en voulant des looks de vieux multiples et combinables). Car il faut être honnête : nous n'aurons rien laissé dans les annales de la mode. Les années 90 étaient marrons, beiges, et noires – tout le monde avait un look à la Mulder et Scully. Même le pseudo trash dont s'est couverte Kate Moss n'avait rien de comparable avec le punk des années 70. La seule chose qui a changé depuis est la qualité des objectifs d'appareils photo, et la démocratisation hip hop des pantalons larges. 

Alors me voilà, maintenant, – "here I come", maître Kurt –, face à cette pub Mac Do comme Dorian Grey devant son propre portrait. Elle porte à ma place les stigmates de ce que j'aurais pu devenir. Et j'essaie de comprendre cette pub.

"Venez comme vous êtes". Le premier paradoxe est que ce soit positif : tu es un mec bien, bien qu'au fond, si tu es trentenaire, dans 75% des cas, tu es juste un ancien grunge qui a réussi... Pour Kurt Cobain, au contraire, l'injonction était clairement sadique, écrasante et suicidaire. Quand il te dit de venir comme tu es, c'est en fait "comme je veux que tu sois" ! Je dois dire, qu'en découvrant les paroles aujourd'hui, je suis obligé de soupçonner Kurt d'avoir lu Foucault et tous ses travaux sur le travail de l'assujettissement par les techniques de l'aveu (en gros, l'idée que dire ce que nous sommes est toujours la réponse à une injonction extérieure, ayant pour but final non avoué, de nous contrôler, de nous faire autre que ce que nous sommes, bref de nous dominer).

Le deuxième paradoxe est que "tu es en plein d'exemplaires"... Je ne sais pas comment vous vous comportez devant ce genre d'énoncés, mais vous pourriez légitimement supposer que vous n'avez vingt idées de personnalités par jour à enfiler rien que pour le fun – à moins d'avoir été privé de fête d'anniversaire déguisée quand vous étiez gamin. Là encore, je préfère Kurt... qui cryptiquement pourrait suggérer que c'est déjà si insupportable et traumatisant d'être soi, qu'on ferait carrément mieux de n'être personne.

Ce qui me fascine, c'est comment une même phrase, un même énoncé, trempé dans deux époques différentes, signifient deux choses si différentes. Les créatifs ne font rien. C'est le climat général, l'époque, l'air du temps qui leur permet de redire différemment les mêmes choses. (And I mean it !)

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