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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 21:08

 

GOW3 GodOfWarIII PS3 Ed026

Là où Kratos passe, la culture grecque trépasse.


Kratos est mort, vive Kratos.

Enfin ! Le gros macho à barbichette et à la voix rocailleuse de steack gonflé aux hormones est mort !... Et cette mort prouve que, quelque part dans le monde du jeu vidéo, on a entendu parler d'un truc qui s'appelait la tragédie. Car Kratos ne fait pas que mourir, il se suicide.

 

 

Suicide de Kratos.

       

Il prend la grosse épée phallique de papa Zeus, et il se la plante tout seul dans le bide, parce qu'il en a marre de vivre. Geste physiquement impossible tellement l'épée est grosse – l'animation d'ailleurs est ridicule, et bâclée... Mais c'est une fin tragique tout de même. La trilogie God of War est même devenue une véritable tragédie kitsch au fil des épisodes – c'est le style du jeu : rejouer Kill Bill en butant un à un tous les dieux du Panthéon. Sur cet épisode comme sur les autres, les concepteurs s'en sont donnés à coeur joie. Pendant toute la longueur du jeu, l'Olympe se trouve infestée de mouches qui bourdonnent comme autant d'Erinyes s'abattant sur Oreste après son crime. Et lorsque les dieux apparaissent, ils ne se lassent pas de répéter avec un air narquois "tiens, mon cher Kratos... tu es venu accomplir ta vengeance ?" parce que littéralement votre personnage est devenue une blague tellement il multiplie les déicides et les cycles des vengeances alors qu'il ne voulait que tuer Zeus au départ.

 

 

Mort de Zeus.

 

Mais le jeu a beau avoir cette ambition, il n'arrive pas à conduire le tragique jusqu'au bout. C'est le problème de tout jeu vidéo par ailleurs : on ne pourrait pas faire de Roméo et Juliette un bon jeu vidéo sans quoi, vous arriveriez à temps pour sauver Juliette, vous pourriez la prendre sur un tapis de roses en bougeant bien le stick, vous arriveriez à vous marier après avoir passé le quick time event, et enfin mourir heureux après avoir passé tous les niveaux de la routine amoureuse et de la vieillesse douloureuse. Bizarrement, faire se suicider un personnage coûte toujours autant à l'industrie du jeu vidéo :

 

Indice n° 1.

Juste après le générique de fin, une dernière image montre la trace de sang s'étendre jusqu'à un rebords de falaise... "Oh putain, Kratos a sauté pour se tuer une troisième et dernière fois !" C'est ce que j'ai pensé spontanément. "Peut-être que Kratos n'avait pas envie de revenir pour un ultime épisode où il saccagerait les derniers mythes ou les dernières comédies grecs... Il lui restait quoi, de toute façon ?... Tuer Midas avant que celui-ci ne se tue lui-même... rejouer les pièces d'Aristophane ? Exploser les vendeurs de légumes ? Violer les femmes qui privent leurs maris de sexe parce qu'ils sont partis faire la guerre (Lysistrata) ? Latter les animaux sauvages qui plaident leurs causes auprès des chausseurs pour ne pas se faire manger (les bêtes sauvages, de Cratès)..."

Quoi qu'il en soit, ce que j'ai pensé spontanément reste très éloigné de ce que les exploitants de la licence ont imaginé. Kratos n'est pas complètement mort. Il va revenir dans une suite car, bien sûr, il eu le temps de se guérir en rembourrant de laine de brebis spartiate l'énorme trou qu'il a au ventre. On a annoncé que son frère devrait être le héros de cette suite (pour l'instant, il y a seulement un nouvel épisode de la suite sur PSP). Peut-être qu'il va voir Kratos mourir dans ses bras, et promettre de le venger. Again ! De toute façon, la vengeance est cyclique, et ça, les plus fainéants des scénaristes l'ont bien compris. 

 

 

 

Kratos erre dans les ténèbres pour retrouver l'espoir. 

 

Indice n° 2.

Le scénario labyrinthique de GOW suggère que le suicide de Kratos n'en est peut-être pas un. Il pourrait ne s'agir, au fond, que d'un sacrifice humaniste. Kratos prend la décision de se suicider, parce qu'en mourant, il relâche ainsi le pouvoir ultime qu'Athéna avait celé dans la boîte de Pandore et dont Kratos inconsciemment s'était emparé : l'espoir. Tous les hommes retrouvent alors l'espoir, pour qu'ils arrivent à vivre dans un monde parfaitement choatique et terrifiant. Autrement dit, le suicide de Kratos est un sacrifice : il renonce à son pouvoir pour les autres.

 

 

 

Kratos tue Sue Ellen... euh pardon... Héra.

 

Mais c'est d'abord un énorme contre-sens sur le mythe de Pandore. Dans le récit original, l'espoir est enfermé dans la boîte, avec la misère, la maladie, la passion et j'en passe, parce que l'espoir est une véritable saloperie... Par anticipation, il fait naître la crainte de sa propre mort. N'espérer rien et s'attendre à tout, voilà le vrai courage. Kratos condamne donc encore davantage les hommes. Le voir revenir pour dévaster des cités entières aurait davantage de sens de ce point de vue. Il pourrait revenir exploser Paris, Londres, Pékin, New York, en s'en prenant un à un à tous les mythes nationaux. Buter un coq géant et le plonger dans une grosse marmite pour en faire un coq au vin... servir le thé dans le crâne de la reine d'Angleterre. Faire des graffitis capitalistes tout le long de la muraille de Chine... Je suggère.

 

 

 

Kratos et son premier meurtre homophobe.

Hermès est joué encore davatange comme une sorte de tapette dans la version française. 

Insupportable. Et comme par hasard, il se tranforme en mouches à merde une fois qu'il meurt.

 

Mais le scénario est si aberrant qu'on peut lister les contradictions : Kratos aurait tué tous les dieux, un à un, par espoir...? Kratos se suicide alors qu'il est plein d'espoir...? S'il avait de l'espoir, il aurait dû calmer Zeus en lui préparant une pizza, en lui servant des bières dans un canapé et discutant avec lui du dernier album de Sufjan Stevens sur l'amour et le chaos.

On continue la liste ? Kratos se fait par exemple aider par Pandore, dont il a trucidé le père cinq minutes plus tôt, et pour qui il est prêt à mourir cinq minutes plus tard... Athéna qui s'est faite tuer pour sauver Zeus, se serait en réalité faite tuer intentionnellement pour revenir se venger de Zeus et récupérer le pouvoir qu'elle avait elle-même celé dans le coffre...? Elle aurait vraiment fait ça, la déesse de la sagesse ?

 

 

Comment Hercules finit dans les égoûts après avoir revécu la scène d'ouverture d'Irréversible...

 

Le jeu a donc des faiblesses. Mais une qualité générale : il met en abyme l'auto-destruction inhérente à tout jeu d'action. Pour être un bon jeu d'action, il faut que le personnage échappe à des périls de plus en plus grands, ce qui implique de provoquer (plus ou moins accidentellement – tout l'enjeu du scénario est là) la destruction du monde pour y échapper. Tout personnage est alors conduit à la fin du jeu au bord d'un précipice pour contempler un monde vide, sans espoir, après qu'il ait concentré en lui tous les pouvoirs possibles (comme dans Infamous, ou Prototype). Ce que tente alors un jeu un peu plus conscient comme God Of War, c'est de montrer que le désir qui habite le joueur n'est pas étranger à cet engrenage de destruction.

 

 

 

Mort de Poséidon.

 

C'est devenu un cliché de souligner dans tout film à quel point le désir de violence de la part du spectateur est la cause même de la violence montrée à l'écran (cf la double démonstration, lourde et étouffante, de Michael Henaeke dans Funny Games, et Funny Games US). Maintenant, ça va aussi devenir un cliché de montrer à quel point le joueur participe à la violence de laquelle il aimerait se tenir à distance par le jeu. Je vous prédis de bon débat de télé de service public dans les années à venir.

Le moment ultime de cette mise en abyme est celui de la semi-cinématique de la mort de Zeus. On l'a tué, et le jeu nous offre de lui exploser le crâne en appuyant stupidement, encore et encore, sur un seul bouton. Le gameplay du jeu impose de faire toutes les combinaisons qui apparaissent sur l'écran pour survivre et exécuter le mouvement final. Alors dès qu'on voit clignoter le bouton "rond" en bas à gauche de l'écran, on appuie jusqu'à ce qu'il cesse de clignoter. Le bruit est de plus en plus dégueu. La caméra en vue subjective se remplit de sang, jusqu'à devenir absolument rouge. Et pourtant, comme le bouton "rond" continue de clignoter, on continue d'appuyer, jusqu'à se retrouver un peu idiot en train de se demander pourquoi on continue d'appuyer. La démonstration est simple : le personnage voit rouge, le joueur aussi. Le salut du joueur/personnage consiste à ne plus jouer/tuer – et à enfin aller préparer sa bouffe de célibataire qui attend dans le freezer. 

 

GOW3_kratos-et-soubrette.jpg

Terrifiant, n'est-ce pas ?

 

Peut-être que ce message était inhérent à la série elle-même. Mon pote, le Fils de la Vérité, m'avait d'abord vendu GOW II en me racontant les épreuves herculéennes et les ennemis colossaux qui attendaient Kratos. Il en parlait comme si on pouvait véritablement revivre la violence de la mythologie grecque, comme si ce jeu vidéo avait eu la sagesse de bien comprendre que le monde grec était en fait violent, sanglant et absurde, et non calme, éternel, et rationnel comme on le présente souvent dans les mauvais cours d'histoire. D'une certaine façon, c'était notre version numérique "Naissance de la tragédie". 

Mais un point nous gênait particulièrement. Le nom du personnage était débile. Son character designing plus proche de Conan le Barbare que d'un hoplite athénien. Son bouc ressemblait au système pilleux maltraité d'un métalleux déshydraté par trop de concerts d'affilée passés à côté des enceintes. Les couteaux attachés à des cordes sentaient trop l'invention du geek qui fait tous les forums à se demander quel est l'arme ultime d'un demi dieu... On ne l'aimait pas, mon pote et moi, parce qu'il dissonait avec la fidélité du reste des décors et des ambiances.

 

GOW3 kratos-cosplay

Je crois que je le connais... sur bearwww.com...

 

Mais dans le fond, Kratos, justement, c'était ça, l'étranger, le barbare. Kratos est celui qui va détruire les dieux de l'Olympe, celui qui va détruire tous les mythes Grecs, un par un, arracher les ailes d'Icare, tuer Hadès, embrocher Arès, fendre Zeus en deux dans le sens de la largeur et de la longueur, réembrocher Athéna... Il est en train de détruire chaque pan de sa propre culture, et il en demande toujours plus en grognant de rage. Il est le geek moderne qui demande en nous la ruine de toute tradition.

 

GOW3_DjimonKratos.jpg

 

 

Mais le plus troublant est la nouvelle que Djimoun Hounsou, l'acteur d'entre autres Amistaad, Blood Diamond ou de In America (son meilleur rôle), est pressenti pour jouer Kratos lui-même dans l'adaptation cinématographique. Suprême hérésie (savamment calculée ?) : seul un authentique "barbare", béninois d'origine, américain d'adoption, pouvait jouer à l'écran un spartiate qui précipiterait la fin du monde grec. Je ne sais pas quel scénario pourri les producteurs confieront au beau gosse d'ébène, mais, malgré lui, le film sera de toute façon emblématique de nos fantasmes contemporains.

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