Si vous voyez de grosses manettes NES dans votre vie, et que vous appuyez dessus avec enthousiasme.
Attention, ne riez plus : quelque chose a dû se briser en vous...
Un gros roux, barbu et le visage rouge faisait la visite. Je crois pouvoir dire que son haleine n'était pas mentholée. Nous étions quatre visiteurs en tout, debout et dignes – entourés de jeunes lycéens dépressifs, shootés à l'aspartame et même pas au vrai sucre, trop incultes pour choisir entre un look goth ou emo corrects, et dont la vie consiste en un sitting permanent un smartphone à la main...
Quatre : en fait, un grand-père en jogging rouge qui moulait bizarrement l'entrejambes, ses petites filles, dont une qui regardait tout avec des grands yeux bleus hallucinés et un sourire édenté – mais déjà trop âgée pour que ça ressemble au visage frais de l'innocence – et moi...
Il ne s'agissait pas de l'expo du Grand Palais, mais d'une petite exposition de vieilles consoles dans notre médiathèque de province. La même asso avait prêté les pièces. Intitulé de la visite (une des bibliothécaires avait fait le tour des tables pour recruter... et j'étais le seul à être descendu à l'étage inférieur) : "histoire des jeux vidéos, et... explication de la classification des jeux vidéos". Radical, non ?
En bas, dans le hall, Marcus (le mec sympa qui fait de la télé) signait son livre "La Fabuleuse Histoire des jeux vidéos". Si vous avez un souvenir nostalgique de vos premiers "Tilt" ou "Console +", la maquette est la même : horriblement putassière, même pour les enfants de 7 à 11 ans (période pervers polymorphe). Car sous prétexte de respecter une esthétique pop 90's qui n'a jamais existé, notre bon journaliste se permet d'écrire un minimum de mots dans un maximum d'espace saturé par des couleurs toutes plus laides les unes que les autres. A moins d'avoir à réapprendre la distinction entre la couleur bleu d'avec la couleur verte, ou la différence entre Mario et Sonic, vous n'avez aucune raison d'acheter ce truc.
Bien mieux que le livre de Marcus. A tout point de vue !
Nous étions donc seuls avec notre guide radical, qui lui, de toute évidence avait vécu et portait encore les stigmates de cette époque troublée des premières consoles. Immersion totale. Concrètement, ça donne une petite heure de visite chiante et technique. Et bref, on se répète tous mille fois : Les jeux c'est drôle d'y jouer, et pas drôle d'en parler. Sauf le grand-père qui adorait les détails techniques. Il sentait la retraite heureuse, pendant laquelle tout vous re-passionne. Même si ça peut paraître une bonne idée, une expo de jeux vidéos, il suffit de penser à ce que serait un guide tour du musée de la belote et du rami pour se convaincre du contraire...
Le temps de cette heure de visite, c'était comme redevenir un geek avant que le terme soit à la mode, en fait, redevenir un truc sans nom, i. e. un mec chelou qui s'intéresse aux jeux vidéos, dont les yeux brillent quand on lui propose de faire une partie à 4 de Super Bomberman II. L'horrible sensation de gêne n'est pas descriptible, alors voici ce que j'ai retenu, puis reconstitué à travers la foule d'informations techniques sans intérêt.
En trois étapes, ma contre-histoire du jeux vidéo, soufflée par le guide roux à l'haleine radicale :
1. Les jeux vidéos, c'est pas mignon, c'est graveleux.
2. Les jeux vidéos, c'est pas une industrie culturelle increvable.
3. Les jeux vidéos, c'est pas le progrès technique constant, c'est d'abord du divertissement qui tire parti d'un dispositif minimaliste. Less is more !
Pourquoi Pacman est-il si méchant...? Serait-il un violeur multirécidiviste de fantômes colorés ?
- Fait n°1 : Pacman s'appelle Pacman pour de très mauvaises raisons. "Pac" ne veut rien dire, mais "pucka" si. C'est le bruit que fait un truc qu'on mange en japonais. "Pucka pucka !" est l'équivalent de "scruntch scruntch", ou si vous trouvez déjà "scruntch scruntch" trop ringard (rapport au chocolat au lait et aux riz soufflé qui ne se vend même plus), vous pouvez miser sur une traduction plus "2.0" telle que "om nom nom nom".
Notre médiathèque est neuve, ou quasi, et sa machine à café le lieu d'une perpétuelle réinvention de sujets de conversations. Notre guide a dû croire que tout ce qu'il dirait serait aussi brillant que le soleil reflété mille fois sur les nouvelles vitres gigantesques du hall d'entrée. Car il a relancé. Mais pourquoi pas "Puckman" ? Puisqu'en effet, de "puck" à "pac", il y a encore un dernier maillon explicatif à franchir... Personne n'en savait rien. On pensait que l'anecdote était finie, qu'on pouvait partir. "Pucka" nous suffisait. Nous vendre un bout de connaissance en onomatopée japonaise suffisait.
Pacman, violeur en série...
Ici, avec Miru, le seul fantôme genré de la bande.
C'est une fille. Très bon article ici.
Alors, qu'en fait... si le jeu s'appelle Pacman (premier jeu avec une intelligence artificielle aléatoire), c'est parce qu'avec "Puckaman", si des jeunes s'étaient amusé à effacer une partie du "P", ça aurait pu faire "Fuckaman" ! De ce point de vue, le titre "Pacman" semblait mieux protégé contre le vandalisme potache des teenagers.
Pacman rattrapé par la solitude et l'échec de son mariage avec Pacgirl
commence à aller draguer la femme du voisin. On attend la série façon Mad Men.
Les mecs qui ont pris cette décision ont quand même dû penser qu'il était plausible de voir la tranche de camembert jaune (Pacman) une bite à la main en train de courser les fantômes pour les violer après avoir bouffé une pillule de viagra magique. Se rendait-il compte de la portée de sa suggestion ? Les teens qui jouaient à Pacman étaient donc légitimes à penser que le truc jaune sur l'écran était en réalité une métaphore universelle de la baise.
Un jeu aussi simple que Pacman n'a finalement rien de transparent. C'est très opaque symboliquement une bouche en pixels, encore très freudien. Et j'aimerais conclure abusivement que ce sont les implications sexuelles de ce jeu qui a pu le rendre si intéressant. Comme si finalement, il n'avait jamais été ludique en soi de ramasser de petites billes et manger de plus grosses pour bouffer des trucs encore plus gros et flippants comme des fantômes... la triste réalité des jeux vidéos. Aussi beau que ce soit, on verra toujours des bites courir quelque part.
La même vérité reformulée pour les possesseurs d'I-phone : pour vendre un simple jeu de lancer, on doit faire comme si c'étaient des méchants oiseaux (angry birds) qu'on lançait pour tuer des blobs innocents... sinon on s'ennuierait.
- Fait n°2 : il existe 300 versions de Pong. Parce qu'Atari n'a jamais déposé les droits sur le premier Pong... les boules pour eux. Ils auraient pu être milliardaires à si peu de frais. Pendant ce temps, donc, les jeux où deux trucs se déplacent à gauche et à droite de l'écran ont pullulé. Le krach des jeux vidéos de 1983 est directement lié à cette prolifération du même jeu sans style. Le mot important : "krach". C'est à peine exagéré. Après 1983, le marché a été débarrassé de plein de consoles ratées. Et c'est Nintendo qui a sauvé la mise de tout le monde, alors que personne n'y croyait, grâce au plombier de Miyamoto, le Lennon des jeux vidéos. Résumé rapide : les Américains ont moins d'imagination que les Japonais.
L'industrie du jeu vidéo n'est pas franchement une industrie de tout repos, et certainement pas increvable. L'usure d'un principe de jeu est rapide, ultra-rapide, et l'apport technologique le renouvelle peu. Ce qu'il faut aux jeux vidéos ne se résume pas à de la bakelite et des circuits conducteurs. Il faut de l'imagination, des héros, des récits, des idées... Et plus encore... car Miyamoto a sauvé la mise par une sorte de hasard total. Sa présence elle-même est bizarre. C'est un excentrique pur et simple, transfiguré par l'idéal d'amour des Beatles, le tout relevé à la sauce soja. Après tout, il y en a peu comme lui, et il a fallu des conditions très particulières pour qu'il soit entendu. Car le moteur de sa réussite tient à un renversement étonnant dans le domaine de l'industrie culturelle : on ne vend plus de consoles avec des jeux, mais des jeux qui ne tournent que sur certaines consoles (essayez d'imaginer l'inverse avec votre i-pod et la musique).
La dreamcast : première console avec modem... et pourtant, il n'en reste rien.
Pour se rappeler à quel point les jeux vidéos sont fragiles, il suffit de se souvenir de tous les cadavres qui jonchent l'histoire des jeux vidéos. Il y a quantité de consoles mortes-nées, dont pourtant la force technologique était évidente à l'époque... Rappelez-vous feue la dreamcast, feue la gamecube, feue la nintendo 64... on nous les avait vendues sur l'argument très rationnel d'un dédoublement des capacités ! De 8 bits, on était passé à 16 bits, puis à 32, et enfin à 64. Une simple multiplication par deux suffisait à nous faire rêver...
Par pur plaisir sadique, rappelons une vérité trop souvent bafouée pour minimiser la réussite du secteur vidéoludique : les jeux vidéos ne sont pas la première industrie culturelle ! En 2009, le jeu vidéo représente 42 milliards d'euros, contre 269 milliards pour la télé, 245 pour la presse, 92 pour le livre, et 73 pour le cinéma. Par conséquent le jeu vidéo représente seulement la 5ème industrie culturelle (chiffres dans Révolution numérique et industries culturelles, de Philippe Chantepie et Alain Ledieberder)...
Le Monsieur Caca de Dr Slump.
Emblématique de la culture kawai qui nourrit les jeux vidéos.
- Fait n°3 : la console la plus vendue est la Nintendo DS.
Pas une console de casual gamer. Pas une console de gamer adulte. Ses jeux sont des jeux d'enfants. La console est un truc d'enfant. Ses jeux sont moches, mais rigolos. Les Japonais sont des fous de consoles portables, et de jeux simples mais efficaces, de petites formules marrantes, qu'on peut regarder en tout petit, concentré sur un écran dans le métro. Seul le pays du "mignon" pouvait être le pays de la console. Le jeu vidéo reste un truc de gosse kawai, quoi qu'on en dise... et le kawaï, ce n'est pas seulement mignon, c'est aussi bizarre et absurde, voire scato. Je précise donc : le jeu vidéo c'est culturellement possible dans la culture du kawai pervers, bizzaroïde et dégueu (si l'on s'en tient à mon analyse freudienne de Pacman, par exemple). Mais il y a aussi clairement du psychotrope en Mario. Comment qualifier autrement cette sensation d'accélération et de délire que représente la traversée d'un niveau de Mario à pleine vitesse ? Et il y aussi clairement de la branlette collective dans les gestes de la wii... mais on va laisser les enfants le découvrir par eux-mêmes un peu plus tard : ils seront tellement contents d'avoir pris un peu d'avance.
Par ailleurs, plus les jeux sont simples, plus leur mise en réseau est facile. Le succès de Nintendo tient tout entier à ça. Le progrès technique du jeu vidéo concerne essentiellement des questions de moteur graphique (dont on se fout quand on doit être rapide et efficace en jouant contre quelqu'un), ou des problèmes d'intelligence artificielle (dont on se fout quand on joue avec une autre vraie personne). Mais vous n'avez pas besoin de tout ce progrès si vous savez générer du plaisir par simples frottements de manettes et apposition de vannes mégalomanes sur vos potes.
On peut donc dire sans trop exagérer que le progrès technologique du jeu vidéo sert essentiellement à compenser l'absence d'amis. Si vous avez des amis, et que vous pouvez vous connecter à une plateforme, vous n'aurez pas besoin de beaux jeux, ou de jeux supposés créer des histoires : s'engueuler avec ses potes suffit.
L'accessoire indispensable : le bâton qu'on colle au cul de M. Caca.
Et bonne chance pour faire évoluer le jeux vidéo vers un "univers plus adulte" après ça !