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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 02:13

 


Jxvidéos giant-Nintendo-NES controller DIY

      Si vous voyez de grosses manettes NES dans votre vie, et que vous appuyez dessus avec enthousiasme.

Attention, ne riez plus : quelque chose a dû se briser en vous...

 

Un gros roux, barbu et le visage rouge faisait la visite. Je crois pouvoir dire que son haleine n'était pas mentholée. Nous étions quatre visiteurs en tout, debout et dignes – entourés de jeunes lycéens dépressifs, shootés à l'aspartame et même pas au vrai sucre, trop incultes pour choisir entre un look goth ou emo corrects, et dont la vie consiste en un sitting permanent un smartphone à la main... 

Quatre : en fait, un grand-père en jogging rouge qui moulait bizarrement l'entrejambes, ses petites filles, dont une qui regardait tout avec des grands yeux bleus hallucinés et un sourire édenté – mais déjà trop âgée pour que ça ressemble au visage frais de l'innocence – et moi...

Il ne s'agissait pas de l'expo du Grand Palais, mais d'une petite exposition de vieilles consoles dans notre médiathèque de province. La même asso avait prêté les pièces. Intitulé de la visite (une des bibliothécaires avait fait le tour des tables pour recruter... et j'étais le seul à être descendu à l'étage inférieur) : "histoire des jeux vidéos, et... explication de la classification des jeux vidéos". Radical, non ?

En bas, dans le hall, Marcus (le mec sympa qui fait de la télé) signait son livre "La Fabuleuse Histoire des jeux vidéos". Si vous avez un souvenir nostalgique de vos premiers "Tilt" ou "Console +", la maquette est la même : horriblement putassière, même pour les enfants de 7 à 11 ans (période pervers polymorphe). Car sous prétexte de respecter une esthétique pop 90's qui n'a jamais existé, notre bon journaliste se permet d'écrire un minimum de mots dans un maximum d'espace saturé par des couleurs toutes plus laides les unes que les autres. A moins d'avoir à réapprendre la distinction entre la couleur bleu d'avec la couleur verte, ou la différence entre Mario et Sonic, vous n'avez aucune raison d'acheter ce truc.

 

Jxvideos_mathieu-triclot.jpgBien mieux que le livre de Marcus. A tout point de vue !

 

Nous étions donc seuls avec notre guide radical, qui lui, de toute évidence avait vécu et portait encore les stigmates de cette époque troublée des premières consoles. Immersion totale. Concrètement, ça donne une petite heure de visite chiante et technique. Et bref, on se répète tous mille fois : Les jeux c'est drôle d'y jouer, et pas drôle d'en parler. Sauf le grand-père qui adorait les détails techniques. Il sentait la retraite heureuse, pendant laquelle tout vous re-passionne. Même si ça peut paraître une bonne idée, une expo de jeux vidéos, il suffit de penser à ce que serait un guide tour du musée de la belote et du rami pour se convaincre du contraire...

Le temps de cette heure de visite, c'était comme redevenir un geek avant que le terme soit à la mode, en fait, redevenir un truc sans nom, i. e. un mec chelou qui s'intéresse aux jeux vidéos, dont les yeux brillent quand on lui propose de faire une partie à 4 de Super Bomberman II. L'horrible sensation de gêne n'est pas descriptible, alors voici ce que j'ai retenu, puis reconstitué à travers la foule d'informations techniques sans intérêt.

En trois étapes, ma contre-histoire du jeux vidéo, soufflée par le guide roux à l'haleine radicale : 

1. Les jeux vidéos, c'est pas mignon, c'est graveleux.

2. Les jeux vidéos, c'est pas une industrie culturelle increvable.

3. Les jeux vidéos, c'est pas le progrès technique constant, c'est d'abord du divertissement qui tire parti d'un dispositif minimaliste. Less is more !

 

Jxvideos_pacman-kidnapping.jpg

Pourquoi Pacman est-il si méchant...? Serait-il un violeur multirécidiviste de fantômes colorés ?

 

- Fait n°1 : Pacman s'appelle Pacman pour de très mauvaises raisons. "Pac" ne veut rien dire, mais "pucka" si. C'est le bruit que fait un truc qu'on mange en japonais. "Pucka pucka !" est l'équivalent de "scruntch scruntch", ou si vous trouvez déjà "scruntch scruntch" trop ringard (rapport au chocolat au lait et aux riz soufflé qui ne se vend même plus), vous pouvez miser sur une traduction plus "2.0" telle que "om nom nom nom". 

Notre médiathèque est neuve, ou quasi, et sa machine à café le lieu d'une perpétuelle réinvention de sujets de conversations. Notre guide a dû croire que tout ce qu'il dirait serait aussi brillant que le soleil reflété mille fois sur les nouvelles vitres gigantesques du hall d'entrée. Car il a relancé. Mais pourquoi pas "Puckman" ? Puisqu'en effet, de "puck" à "pac", il y a encore un dernier maillon explicatif à franchir... Personne n'en savait rien. On pensait que l'anecdote était finie, qu'on pouvait partir. "Pucka" nous suffisait. Nous vendre un bout de connaissance en onomatopée japonaise suffisait.

 

Jxvideos_pac---pal.jpgPacman, violeur en série...

Ici, avec Miru, le seul fantôme genré de la bande. 

C'est une fille. Très bon article ici.

 

Alors, qu'en fait... si le jeu s'appelle Pacman (premier jeu avec une intelligence artificielle aléatoire), c'est parce qu'avec "Puckaman", si des jeunes s'étaient amusé à effacer une partie du "P", ça aurait pu faire "Fuckaman" ! De ce point de vue, le titre "Pacman" semblait mieux protégé contre le vandalisme potache des teenagers.

 

Jxvideos_jr_pac-man_2_yum_yum.jpgPacman rattrapé par la solitude et l'échec de son mariage avec Pacgirl

commence à aller draguer la femme du voisin. On attend la série façon Mad Men.

 

Les mecs qui ont pris cette décision ont quand même dû penser qu'il était plausible de voir la tranche de camembert jaune (Pacman) une bite à la main en train de courser les fantômes pour les violer après avoir bouffé une pillule de viagra magique. Se rendait-il compte de la portée de sa suggestion ? Les teens qui jouaient à Pacman étaient donc légitimes à penser que le truc jaune sur l'écran était en réalité une métaphore universelle de la baise. 

Un jeu aussi simple que Pacman n'a finalement rien de transparent. C'est très opaque symboliquement une bouche en pixels, encore très freudien. Et j'aimerais conclure abusivement que ce sont les implications sexuelles de ce jeu qui a pu le rendre si intéressant. Comme si finalement, il n'avait jamais été ludique en soi de ramasser de petites billes et manger de plus grosses pour bouffer des trucs encore plus gros et flippants comme des fantômes... la triste réalité des jeux vidéos. Aussi beau que ce soit, on verra toujours des bites courir quelque part.

La même vérité reformulée pour les possesseurs d'I-phone : pour vendre un simple jeu de lancer, on doit faire comme si c'étaient des méchants oiseaux (angry birds) qu'on lançait pour tuer des blobs innocents... sinon on s'ennuierait.

 

 

 

- Fait n°2 : il existe 300 versions de Pong. Parce qu'Atari n'a jamais déposé les droits sur le premier Pong... les boules pour eux. Ils auraient pu être milliardaires à si peu de frais. Pendant ce temps, donc, les jeux où deux trucs se déplacent à gauche et à droite de l'écran ont pullulé. Le krach des jeux vidéos de 1983 est directement lié à cette prolifération du même jeu sans style. Le mot important : "krach". C'est à peine exagéré. Après 1983, le marché a été débarrassé de plein de consoles ratées. Et c'est Nintendo qui a sauvé la mise de tout le monde, alors que personne n'y croyait, grâce au plombier de Miyamoto, le Lennon des jeux vidéos. Résumé rapide : les Américains ont moins d'imagination que les Japonais.

L'industrie du jeu vidéo n'est pas franchement une industrie de tout repos, et certainement pas increvable. L'usure d'un principe de jeu est rapide, ultra-rapide, et l'apport technologique le renouvelle peu. Ce qu'il faut aux jeux vidéos ne se résume pas à de la bakelite et des circuits conducteurs. Il faut de l'imagination, des héros, des récits, des idées... Et plus encore... car Miyamoto a sauvé la mise par une sorte de hasard total. Sa présence elle-même est bizarre. C'est un excentrique pur et simple, transfiguré par l'idéal d'amour des Beatles, le tout relevé à la sauce soja. Après tout, il y en a peu comme lui, et il a fallu des conditions très particulières pour qu'il soit entendu. Car le moteur de sa réussite tient à un renversement étonnant dans le domaine de l'industrie culturelle : on ne vend plus de consoles avec des jeux, mais des jeux qui ne tournent que sur certaines consoles (essayez d'imaginer l'inverse avec votre i-pod et la musique). 

 

Jxvideos_dreamcast.jpgLa dreamcast : première console avec modem... et pourtant, il n'en reste rien.

 

Pour se rappeler à quel point les jeux vidéos sont fragiles, il suffit de se souvenir de tous les cadavres qui jonchent l'histoire des jeux vidéos. Il y a quantité de consoles mortes-nées, dont pourtant la force technologique était évidente à l'époque... Rappelez-vous feue la dreamcast, feue la gamecube, feue la nintendo 64... on nous les avait vendues sur l'argument très rationnel d'un dédoublement des capacités ! De 8 bits, on était passé à 16 bits, puis à 32, et enfin à 64. Une simple multiplication par deux suffisait à nous faire rêver...

Par pur plaisir sadique, rappelons une vérité trop souvent bafouée pour minimiser la réussite du secteur vidéoludique : les jeux vidéos ne sont pas la première industrie culturelle ! En 2009, le jeu vidéo représente 42 milliards d'euros, contre 269 milliards pour la télé, 245 pour la presse, 92 pour le livre, et 73 pour le cinéma. Par conséquent le jeu vidéo représente seulement la 5ème industrie culturelle (chiffres dans Révolution numérique et industries culturelles, de Philippe Chantepie et Alain Ledieberder)... 

 

Jxvideos_monsieur-caca.jpg

Le Monsieur Caca de Dr Slump.

Emblématique de la culture kawai qui nourrit les jeux vidéos.

 

- Fait n°3 : la console la plus vendue est la Nintendo DS. 

Pas une console de casual gamer. Pas une console de gamer adulte. Ses jeux sont des jeux d'enfants. La console est un truc d'enfant. Ses jeux sont moches, mais rigolos. Les Japonais sont des fous de consoles portables, et de jeux simples mais efficaces, de petites formules marrantes, qu'on peut regarder en tout petit, concentré sur un écran dans le métro. Seul le pays du "mignon" pouvait être le pays de la console. Le jeu vidéo reste un truc de gosse kawai, quoi qu'on en dise... et le kawaï, ce n'est pas seulement mignon, c'est aussi bizarre et absurde, voire scato. Je précise donc : le jeu vidéo c'est culturellement possible dans la culture du kawai pervers, bizzaroïde et dégueu (si l'on s'en tient à mon analyse freudienne de Pacman, par exemple). Mais il y a aussi clairement du psychotrope en Mario. Comment qualifier autrement cette sensation d'accélération et de délire que représente la traversée d'un niveau de Mario à pleine vitesse ? Et il y aussi clairement de la branlette collective dans les gestes de la wii... mais on va laisser les enfants le découvrir par eux-mêmes un peu plus tard : ils seront tellement contents d'avoir pris un peu d'avance.

Par ailleurs, plus les jeux sont simples, plus leur mise en réseau est facile. Le succès de Nintendo tient tout entier à ça. Le progrès technique du jeu vidéo concerne essentiellement des questions de moteur graphique (dont on se fout quand on doit être rapide et efficace en jouant contre quelqu'un), ou des problèmes d'intelligence artificielle (dont on se fout quand on joue avec une autre vraie personne). Mais vous n'avez pas besoin de tout ce progrès si vous savez générer du plaisir par simples frottements de manettes et apposition de vannes mégalomanes sur vos potes. 

On peut donc dire sans trop exagérer que le progrès technologique du jeu vidéo sert essentiellement à compenser l'absence d'amis. Si vous avez des amis, et que vous pouvez vous connecter à une plateforme, vous n'aurez pas besoin de beaux jeux, ou de jeux supposés créer des histoires : s'engueuler avec ses potes suffit. 

 

JxVideo_kawai-caca-slump.jpgL'accessoire indispensable : le bâton qu'on colle au cul de M. Caca.

Et bonne chance pour faire évoluer le jeux vidéo vers un "univers plus adulte" après ça !

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 02:56

 

 Undead Red Dead Redemption Undead Nightmare DLC

Le zombie-cow-boy, une espèce rare, non moins kitsch et intéressante.

 

L'été est long.

Il n'y a rien d'autre à l'horizon que des nuages et des champs ravagés par la sécheresse. Et de la vieille téléréalité pour cas soc', diffusée après minuit. Et à force de bouffer des pruneaux et des abricots secs, je suis devenu méchant, très méchant. J'emprunte un jeu de zombies à un pote, persuadé que mes talents de gamer vont pouvoir servir à libérer une autre contrée virtuelle, et sans doute satisfaire sexuellement une princesse champignon. Mais tout ce qui est advenu depuis m'a comblé, moi, comme une princesse champignon...

Plus tôt dans l'année, j'avais fini Red Dead Redemption, et j'avais encore de la poussière entre les dents. Mais je finissais par tourner en rond et tuer des grizzlys à la pelle. Alors redécouvrir le titre, rempli cette fois de nombreux ennemis quasi immortels et sans cesse renouvelés avait un côté d'avance assez sexy. J'étais prêt à les trucider, à l'ancienne, à la hache ou au lasso en les traînant dans la boue. Mais j'ai eu mieux : des dialogues, de la noirceur, et une ambiance de vieux films de zombies (façon Roméro). 

Le jeu s'ouvre sur une scène assez proche de l'Armée des morts. Papa Jack Marston va se coucher (il a toujours autant de mal avec son ado de fils) et se réveille un matin en découvrant que sa femme et son fils se sont zombifiés. Dans le film de Zack Snyder, l'urgence est immédiate. Quand le héros parvient à sortir de chez lui, il a l'impression de ne pas être le seul à tenter de courir pour rejoindre la surface de réparation. On voit le voisin courir et se faire choper par sa fille, et le voisin du voisin avoir à peine le temps de monter dans son 4X4 pendant que sa femme bondit sur le pare brise. 

Là au contraire, vous ne dégommez pas toute votre famille, ni la moitié du Texas avec un seul fusil à pompe... en fait, chose élégante et pratique dans une situation de conflit, vous discutez. Vous essayez de comprendre ce qui arrive à votre femme et votre fils pendant qu'ils vomissent et grognent comme un éboulement de rochers sur une route de montage. Et contrairement à tous ces films de zombies, où les gens pensent spontanément à transformer le visage de son voisin en sauce bolognaise, vous les ligotez, pour revenir plus tard, quand ils iront mieux. Et vous leur laissez même un peu à manger. 

Génial ou ridicule. Il se passe quelque chose d'assez inédit : Jack Marston ignore que ce sont des zombies (alors que son fiston lisait justement quelque chose à ce sujet – et que nous, nous avons acheté le jeu parce qu'on a adoré la jaquette zombie super kitsch). Et vous réalisez soudain à quel point les films de zombies passent à la trappe le problème essentiel : mais pourquoi il y a tous ces gens "malades", et est-ce que je peux vraiment vraiment tuer un homme "malade" qui se comporte violemment à cause de sa "maladie" ? Il est impossible de ne pas se poser ses questions, et ce faisant d'adopter un autre comportement qu'un geek attardé face à ce qu'on appelle des "zombies".

 

 

Une des plus géniales séquences, Seth retrouve la joie de vivre entouré de ses zombies potes.

 

Car, "en vrai", on passerait assez rapidement pour un sociopathe si, en voyant un type vomir du sang, notre premier réflexe était de lui planter une freebox dans la tête pour lui griller le cerveau. Et on passerait pour un homme dépourvu de conscience si on ne cherchait pas à expliquer vraiment le phénomène (plutôt qu'à le nommer en criant "attention, des zombies" !!!). 

Cette déterritorialisation du jeu de zombies produit donc un effet nouveau, un peu comme dans Walking Dead ou Fido auparavant. Les zombies, à certaines conditions, sont humanisés, comme des animaux de compagnies, ou des animaux sauvages. Ils peuvent être dépecées, étudiées, purifiées, ou servir de partenaires de poker ou de danse country (ce qu'est peut-être la danse country réellement, au fond)... jusqu'à ce que finalement vous aussi, dans le jeu, vous... non, je ne peux pas balancer. Mais, la fin est bien – trop facile – comme tous les jeux en ce moment, mais bien.

 

 

Discussion tragique avec Bigfoot... ne pas ouvrir si vous ne voulez pas savoir ce qui se passe après que John Marston l'ait accusé de "manger des bébés."

 

Quoi qu'il en soit, passé un moment, vous ne jouez plus tellement pour tuer du zombie, mais pour vivre dans cet univers étrange où le zombie n'est pas un élément familier de pop culture – où le zombie est de nouveau étrange lui-même. Qui plus est, le jeu a la malice de multiplier les fausses pistes. Des animaux mythiques apparaissent, chevaux de l'apocalypse et autres (je n'en dis pas plus, mais quand on chevauche sur un cheval enflammé, là, vraiment, on ne se sent plus pisser – heureusement que ça n'est pas possible dans la vraie vie, sinon gare aux accidents à la sortie des boîtes). Vous ne savez plus vraiment s'il s'agit de zombies. Les mythologies s'entremêlent, et vous finissez par redevenir le cow-boy philosophe dont vous pouviez avoir l'air dans le premier épisode. Il y a même cette séquence assez touchante avec "un animal mythique", qui ferait passer le dernier Planète des singes pour un sequel. 

Quant aux survivants que vous croisez, tandis que votre scepticisme et votre pragmatisme grandissent (car, fatalement, vous finirez par essayer d'adopter vous aussi un cheval zombie), eux deviennent de plus en plus parano, infects, et xénophobes... et donc drôles. Il y a peu à faire pour comprendre qu'il s'agit de la même réaction qu'adopterait l'individu lambda face à la peur et l'inconnu.

 

 

Seth... again.

 

Le décalage entre votre "connaissance" des zombies et la surprise du texan puritain est délectable. Ce sont tout simplement les meilleurs dialogues de jeux vidéos que j'ai pu entendre jusqu'à aujourd'hui. 

(à peu près)

"Et j'ai vu Mr. Patterson manger des chiens dans les rues, lui qui aimait tellement les bêtes !"

Ou encore :

"Mais pourquoi Maman a mangé Papa ?! Il l'a accompagné si patiemment au moment de sa maladie. Je sais qu'on raconte qu'il couchait avec sa soeur, mais c'est faux ! Il ne méritait pas ça !"

Et plus tard, quand vous croisez les premiers rescapés, ils ont évidemment tous une théorie du complot à partager pour expliquer le désastre. Qui est responsable ? Les Juifs, les Mexicains, le vice du jeu, le non-respect des anciens, le non-respect des morts (Seth, votre ami du premier épisode, est génial)... si on ajoute le mariage homosexuel et l'avortement, on a un discours du pape tout prêt à disposition. Marine Lepen a même sa réplique dans le jeu :

"C'est la faute du gouvernement, nous avons accueilli trop d'étrangers, voilà ce qui arrive quand on ouvre les frontières. Ma fille a fini dans le ventre d'un monstre satanique à cause de ce putain de gouvernement !"

Ce jeu a des vertus politiques finalement insoupçonnées. En faisant renaître les mêmes discours dans des conditions différentes, on a l'impression de toucher le petit coeur saignant de la bêtise contemporaine. 

 

 

Le moment papy brossard facho d'Undead Nightmare. Devinez comment il va finir

(il ne vas pas avoir le temps de se mettre un oeil de verre, celui-là)

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 23:59

 

 

Red-dead-redemption-soleil couchant

 

Bon, il n'y a rien à faire. 

Tuer un chacal...? J'en ai déjà six peaux, et six autres en viandes fumées. Et je suis là, au milieu des bois, entourés de barbus miteux (même pas bears) qui jouent à lancer des fers à cheval. Si je voulais vendre mes peaux à 3 dollars, je devrais traverser la moitié de la carte. Un vrai boulot de prolo. Aller tuer des gens au hasard dans les bois...? Inutile, complètement vain. Il n'y a aucun challenge, aucun gain. 

Je suis le fils de John Marston, j'ai vengé mon père et je me fais chier. 

 

red-dead-redemption-xbox-360-005.jpg

 

Red Dead Redemption n'est pas un jeu pour les gamers post-post-pubère (comme moi) qui veulent du fun. C'est un longue quête existentielle et horizontale, à cheval. C'est un jeu pour les trentenaires heideggeriens. Vous galopez et galopez encore à la recherche du sens de la vie, en scrutant le dévoilement de l'être dans un nuage de pluie à l'horizon... car le jeu est tout en horizontalité. Plaine. Plaine. Plaine. Rivière. Parfois une falaise.

Vous arrêtez votre cheval en tirant les brides en arrière. Pose virile. Vous esquissez un sourire, vous êtes dans un jeu vidéo. Vous pensez que vous pouvez tout faire du moment que vous connaissez les commandes. Mais malgré votre super look Hedi Slimane du 19 ème s. finissant, il est impossible d'escalader la falaise, impossible de la descendre. Toute verticalité est bannie. Amusez-vous à sauter avec vos superbes bottines de cow-boy métaphysique et vous aurez l'air d'un crapaud qui fait du fosbury pour monter sur un trottoir. Pire, vengez-vous en tentant un saut mortel du haut de la falaise et vous serez aussitôt puni. Vous sauterez, certes, mais votre cheval sera ridicule. Il tombera tout droit comme une figurine de plomb, et ne s'écrasera même pas dans une giclée de sang. Verticalité : interdite. 

Il ne vous reste plus qu'à lancer vers l'horizon sans faire le mariole, prendre plaisir à chaque foulée, à chaque nuage de poussière que les sabots de votre cheval soulèvent. 

Une torture pour un mec comme moi. Puis un plaisir. Mais d'abord une torture. 

 

Red-Dead-mario_saut_2.jpg

 

Les jeux m'ont toujours charmé par la force de propulsion que vous acquerrez à travers votre personnage. Dans les premiers donkey kong, les tout tout premiers, portables et à double écran quartz, il suffit de bien synchroniser le saut de Mario pour croire qu'il s'élance pile au bon moment au dessus des tonneaux. Les sprites (les mouvements du personnage – mais à l'époque où je lisais Console +, on parlait de sprites) étaient magiques dès qu'un personnage bondissait. Toute l'inertie programmée du monde du jeu se révélait dans les bonds des personnages – généralement figés au sommet de la courbe de saut, comme s'ils avaient éternellement l'air satisfaits de sauter. 

 

Red-Dead_megaman.gif

 

Un Mario conquérant et mécanique avec le poing en l'air en toutes circonstances (au cas où un bloc en pierre viendrait à passer au dessus de sa tête). Un Mégaman toujours pris en pleine action avec son genou plié, sa bouche ouverte et son bras laser tendu vers l'ennemi. Le Mickey de Mickey Mania sur Megadrive dont le saut se divisait en deux phases d'ascension/descente. Ou Chun-Li qui sautait comme Spiderman (à mon avis, la raison secrète pour laquelle tout le monde aimait jouer Chun-Li dans Street Fighter II).

Le plus beau mouvement d'ascension que vous pouvez opérer dans Red Dead est de monter sur votre cheval en pleine course... 

D'emblée, vous devez vous y résoudre, le gameplay va être monacal. Car ce jeu est un jeu de curé. C'est un sacerdoce. Qu'on accepte d'y jouer, c'est ça qui est fou. 

On ne fait presque que des longs trajets à dos de cheval. Quand il y a de l'action, on conduit des vaches dans le pré. On tue des corbeaux. On conduit des chariots... Et on a le droit à de longs dialogues, qu'on croit cinématographiques au début puis qu'on subit comme si on venait de passer sa journée dans un auspice de vieux le jour d'un météo un peu changeante.

Réalisme oblige, les scènes d'action sont d'un incroyable ennui (le plus trépidant est de choisir son fusil en fonction des différentes caractéristiques apprises par coeur). Pas de prise de karaté. Aucun ennemi qui encaisse un coup de chevrotine à bout portant puis se relève en criant en japonais – les cheveux blonds entourés d'une aura électrique, et nous promettant une boule de feu dans la gueule. Vous visez, vous tuez. Le petit effet bullet time qu'ils appellent "sang froid" n'ajoute rien. La visée est automatique. Vous avez tout votre temps (sauf quand votre copine se balance au bout d'une corde). Le reste de votre vie est une vie de cow-boy. Lourde, poussiéreuse, grise. 

 

red-dead-redemption.jpg

 

Le joueur que je suis a donc dû murir. Et apprendre à ne jouer que pour l'histoire ou... l'ambiance de l'histoire (superbe musique by the way). Car Red Dead est un jeu d'intello. Un film à la Peckinpah, l'adjectif "inrocks" pour le décrire : "âpre" (un adjectif inrock est un adjectif si peu employé qu'on sait quand vous l'employez que vous venez de lire une critique complètement infondée et décevante des "inrocks". Ex : "rock abrasif", "pop solaire", "morceau baroque").

Vous jouez un ancien brigand qu'on engage pour éliminer un par un son ancien gang. Evidemment, la rédemption n'est pas volontaire, elle est contrainte. Car le marshall tient votre femme et votre fils en otages. Pas de morale, juste de la tragédie.

Après plus de 50h de jeu, vous avez tué tout le monde. 

Première super bonne idée du jeu vidéo : ce n'est pas la fin. 

La vie de John Marston, sa vie rêvée, avec un ranch, un chien, sa femme et son fils, est enfin devenue réalité... et c'est encore plus chiant – c'est-à-dire plus existentiel. Vous avez tué tous les méchants à peine aidé d'un ou deux potes, vous avez traversé la frontière, vous avez tué des mecs qui ne se lavaient pas pendant des mois, vous avez tué des indiens et vous en avez profité pour tuer tous les grizzlys, fennecs ou sangliers qui mettaient un pied en travers de votre route. Et vous passez désormais tout votre temps à surveiller votre silo à grains (véridique, et c'est pas si facile que ça). 

Et quand la journée est finie, c'est reparti. Vous devez conduire des troupeaux de vaches, donner des conseils de cow-boy à votre fils rebelle, dompter des chevaux... La fin du jeu possible : devenir un vieux con qui regrette le temps passé. Et cultiver une vraie vie de cow-boy : refuser de conduire une voiture, ne jurer que par votre cheval, et vous engueuler avec votre fils au sujet de ses moeurs un peu trop légères le cul posé dans votre rocking chair. 

Impossible, bien sûr.... parce qu'après vos 50 heures de jeu, vous voulez autre chose. De la violence, du sang, et du tabac à chiquer. Alors, au moment où vous vous installez dans votre ranch, au moment où vous commencez à en avoir marre de tuer les corbeaux ou de chasser le grizzly avec votre fils qui sa fait sa crise d'adolescence, des mecs vous retrouvent et vous butent. 

Deuxième super bonne idée : vous incarnez votre fils dix ans plus tard, et dans quelques dernières minutes de jeu, vous pourrez tuer le marshall qui avez promis de laisser votre père en paix (et qui vous regarde en se marrant et en traitant une dernière fois votre paternel de connard et de racaille). Ecran rouge. Vous avez enfin compris pourquoi le jeu s'appelle Red Dead Redemption...

 

Red-dead-redemption porte

(peut-être trop de contrejours dans le choix des photos...)

 

Fin brillante à la limite, si on tient à y voir une mise en abyme (comme God of War III). L'absurdité de la violence précipite la fin de John et du jeu lui-même (indice : "Mars-ton", Ok, comme "Mars", le dieu de la guerre...). Mais c'est une fin si brillante qu'on pourrait même regretter d'avoir à incarner son propre fils, Jack Marston. Car la poursuite du jeu fait apparaître toutes les ficelles de l'univers Red Dead Redemption.

Si on suit le scénario, Jack (le fils), à la différence de John, ne croit plus du tout à la rédemption, il est rongé par la vengeance. Pensant avoir l'occasion ici de jouer enfin un méchant, j'ai déployé mes deux secondes cinq de psychologie jusqu'au bout. Et entre mes mains, le fils Marston est alors devenu un meurtrier nihiliste. J'ai tué la femme et le frère du Marshall, par vengeance. Puis j'ai essayé de me lancer dans une vendetta personnelle contre toute autorité, par vengeance également. Mystérieusement, c'est tous les flics du Nouveau Mexique qui sont aussitôt prévenus que vous shootez des mecs au hasard au beau milieu du désert mexicain.

Vous mourrez presque immédiatement. 

Pensant faire le malin, j'ai alors tué tous les commerçants, les banquiers, les artistes et les barmen, devenant ainsi le premier rebelle marxiste puritain de l'histoire de l'Amérique. En vain. Là aussi, vous finissez en pièces (et en plus, ils vous font payer plus cher les verres de whisky). 

Dans un ultime élan, je me suis dit que je pourrais aussi bien faire semblant de jouer les gentils, faire semblant de vouloir devenir marshall à mon tour, pour saboter le système de l'intérieur (comme Beigbedder, ou comme Jim Profit) – j'ai même acheté un costume de mec élégant, pour jouer les filous... Trop compliqué. Les stratégies de sabotages post-modernistes n'ont pas leur place dans ce monde.

Autrement dit, vous n'avez aucun moyen de véritablement faire le mariole. Rétrospectivement, le dévoilement de l'être-là de la poussière de vos bottes a un goût amer... Le jeu vous fait croire à la pesanteur de l'existence à travers son incroyable gratuité (car c'est du Sartre en open space ! vous êtes littéralement "condamné à être libre") mais en réalité, le monde de Red Dead est complètement truqué. 

Jack Marston a dû commencer à voir des grappes de chiffres verts couler du plafond avant que je ne le débranche totalement de la matrice.

 

 

 
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4 janvier 2011 2 04 /01 /janvier /2011 15:37

 

Kinebacterie_move_wiimote_natal.jpgLa kinébactérie : progrès... ou régression ?

 

La kinect, la playstation move, la wiimote... Trois nouveaux modes jeu qui nous prient de bouger dans le salon autant que ça bouge à l'écran.

La différence n'est pas moindre entre la manette traditionnelle et les "movemote" (je n'ai pas mal digéré... j'utilise simplement le nom générique débile auxquels les pulicitaires ont certainement pensé). Ou disons plutôt, en hommage à ce prof de grec qui nous a minéralisé en cinquième et fait entrevoir un monde plein de connexions secrètes sept ans plus tard quand on a commencé à vraiment lire des trucs intelligents : "kinébactérie", "le bâton du mouvement, tout simplement.

Pendant cette époque bénie, où nous nous trouvions collé contre la moquette à jouer à la console, il s'opérait une double magie : d'abord (en plus de fusionner avec ce truc chaud plein de poils qu'est la moquette) ça bougeait sur l'écran, mais surtout on n'avait pas à bouger soi-même pour faire sauter le plombier dans tous les sens. On n'avait pas à sauter soi-même le poing en l'air pour faire un shoryuken, ni à concentrer deux secondes en bas puis coup de pied haut pour faire un Flashkick. Le mouvement semblait se décupler par l'intermédiaire de la console. Les kinébactéries ("bâtons de mouvement", je répète) sont peut-être à l'inverse l'instrument d'une perte du mouvement. Je donne plus (un large coup de wiimote), pour en obtenir moins (un pauvre coup inefficace de raquette de ping pong). Ma première réaction, quand j'ai eu une wiimote en main, a donc été de craindre de mourir de ridicule. Ce qui arriva. Car il y a surtout du ridicule à quitter le monde merveilleux de la dextérité abstraite pour se retrouver à effectuer soi-même les gestes qu'on fait virtuellement parce qu'on ne peut justement pas les faire en réalité. 

Pour redire la même chose en plusieurs petites phrases simples : le propre du jeu vidéo, c'est de nous projeter dans un monde virtuel. Dans ce monde, je peux tout faire. Le rêve de voler sans effort est la manifestation la plus profonde du jeu vidéo. Il n'y a pas de rapport entre les boutons appuyés et les mouvements obtenus – et il ne doit pas y en avoir, car c'est ce qui nous garantit de ne pas vivre une simple imitation de vie. Nous autres, les gosses nostalgiques et rêveurs de classe moyenne, devrions nous moquer jusqu'au bout de la réalité ! Pourquoi vouloir maintenant mimer les gestes réels ? J'imagine déjà le nouveau jeu wii : faire les courses au supermarché en multijoueurs, remplir sa déclaration d'impôts en agitant la wiimote... Si je peux le faire en vrai, il n'y a aucun intérêt à faire comme si j'avais une raquette de ping pong ou un volant entre les mains. Ce qui sauvait les simulations du ridicule, c'est justement qu'elles restaient des simulations, abstraites, simplifiées, bref, toujours aussi peu réalistes – au nom du plaisir vidéoludique lui-même.

 

 

Argument décisif : pourrait faire des combats aussi rapides et vifs avec une kinébactérie ?... 

 

Deux coups de raquette de ping pong virtuel plus tard, je l'ai ressenti au plus profond de mon être de geek pâlichon : je ne quitterai jamais ma manette pour cet enfer kinébactérique ! Et il y a tellement de bons arguments pour ça : 

1. Nos jeux vidéos nous ont donné la possibilité de nous sentir puissants en ne quittant pas le canapé. Pourquoi quitter le canapé et paraître maintenant ridicule ? Car quel geek sait danser parfaitement ? Quel geek sait boxer ? Quel geek en a d'ailleurs quelque chose à foutre ? Si on avait une once de politique communautaire, on se réunirait au rayon Nintendo et on mettrait à sac les étales de jeux, en ne laissant intact que Mario Galaxy et Mario Kart – par respect pour leurs ancêtres. Car on veut faire honte aux geeks désormais de n'être qu'un tas de chair molle et sous exposée à la lumière du soleil. Il y a une raison économique et sociologique assez simple derrière cette recrudescence de kinébactéries : les consoles ont été vendues aux non-geek. 

Auparavant, on pouvait jouer à plusieurs, mais sans kinébactéries. La Nes avait beau accueillir jusqu'à quatre joueurs, ou la Gamecube intégrer carrément les quatre ports à la console elle-même, tout le monde était supposé avoir une maîtrise minimale des touches. Et on comprenait ça, on comprenait l'idéalisme inhérent au geste vidéoludique. On partageait le même idéal. Et même les non-geek avaient appris les codes. Depuis qu'on doit aussi inviter les nouveaux non-geeks à jouer (c'est-à-dire, la grand-mère, les potes retardés, et les potes "qui ne sont plus des gamins, oh, ça va"), et depuis que le jeu à plusieurs a été contenu dans ce monde moite et cruel que sont les plateformes multijoueurs, on a abandonné les exigences communautaires du maniement d'un joypad. Aux bourrins, donc, on vend des gestes simples, supposés intuitifs et qui ne le sont même pas (un joueur de ping pong pro restera mauvais à n'importe quel jeu de ping pong – kinébactérie ou non). On liquide la poésie du monde geek et les conversations géniales d'antan, où, pour faire apparaître les boss de Street fighter II tubo, il fallait se répéter la formule magique – absolument arbitraire : bas, R, haut, L, Y et B... 

 

 

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Avatar, la kinébactérie des mecs qui n'ont pas d'imagination.

 

2. Qui plus est, cela a-t-il un quelconque sens, une quelconque efficacité de faire des gestes en dehors de tout contexte réel...? J'aurais beau préparer des émincés avec ma kinébactérie, j'en resterais pas moins incapable d'être efficace, puisque le geste ne prend sens que si j'ai un navet devant moi et une casserole en train de bouillir. On nous fait croire que l'action vaut par elle-même. Mais apprendre à danser dans son salon sert-il à quelque chose ? On n'apprend jamais qu'à danser dans son salon – d'où on tire potentiellement une confiance infondée qui nous sert par la suite d'excitant pour véritablement danser dans les clubs. Mais alors autant prendre tout de suite de la coke. Préparer un geste perpétuellement ne serait qu'une double perte : perte de temps pour des activités dont l'état de geek nous avait a priori éloigné (et à raison...! Je ne veux pas apprendre à danser le R'n'B comme la fille de Will Smith ou devenir DJ comme David Guetta !!!), et perte de tout sens de l'efficacité réelle – puisque privé de contexte réel, ces activités ne sont rien d'autre qu'un canada dry existentiel !

Quelle différence, donc, entre le geste avec kinébactérie et le geste qui s'insère dans le réel ! Un émincé préparé virtuellement avec une kinébactérie manquerait l'aspect peut-être le plus important du réel lui-même : la résistance. En plus des textures, et de beaucoup d'autres informations, c'est malgré tout là que le bas blesse. Le réel m'oppose sa perpétuelle résistance. Mon geste de kinébactérie est sans pesanteur, sans collision... bref, il est nul. Ou plutôt, je suis ma seule résistance. Le super slogan de ce nouveau gameplay devrait être : "le jeu, c'est vous". Car littéralement, la projection virtuelle compte moins que le geste. Les univers de ces jeux kinébactériques sont d'une incroyable pauvreté, car ils ne sont destinés à n'être qu'un réceptacle d'informations. La seule résistance offerte est celle de mon propre corps qui ne se plie pas assez bien au mouvement à effectuer. Pensez-y, jouez avec une kinébactérie reviendrait à jouer avec une manette dont les boutons sont simplement plus durs à enfoncer. 

Notre très chère manette à boutons au contraire (même pas forcément besoin de stick) réalise un véritable tour de force : elle simplifie les gestes, elle fait disparaître le corps. Appuyer sur un bouton n'est pas le défi du jeu vidéo. C'est se plier à l'univers du jeu, et le codage de nos réponses en séries de gestes brefs qui définissent notre participation kinesthésique à la sphère ludique. On aurait raison de dire que dans les deux cas, il faut se plier aux règles du jeu pour gagner, mais le propre d'un jeu kinébactérique, c'est qu'en sollicitant l'attention sur le corps, il empêche l'absorption dans l'univers du jeu. On perd donc complètement la contemplation (parfois mortelle) avec une sphère de quasi-rêve. Et me voici transformé en blaireau qui bouge les bras pour faire semblant de voler... Alors qu'un gamer traditionnel peut s'évader véritablement en faisant taire son corps, en s'immobilisant, et en s'explosant les yeux devant une image... d'où il ne peut plus démêler son imaginaire propre du virtuel des industries de masses. Le joueur à manette connaît une certaine forme de transe. L'épuisement physique du kinébactériste annihile toute vélléité de contemplation pure. 

Il y a fort à parier que les fantasmes SF de monde virtuel fasse totalement l'impasse sur cette vérité profonde : le seul virtuel où l'on puisse se perdre est aussi celui auquel on n'accède qu'à condition de quitter son corps. Le film Avatar fait au contraire de la réapparition d'un corps la condition sine qua non pour déambuler dans un autre univers. Quelle régression. Comment ne pas voir que ce corps de Naa'vi n'est qu'un nouvel obstacle qu'on fait apparaître dans la déambulation ! Le film cultive d'ailleurs l'ambiguïté, contrairement à Matrix. Cameron a dû penser que le summum du virtuel est la re-création d'un corps (d'où la triste scène finale). Au contraire, le plaisir ludique n'est nôtre qu'à condition de n'être pas le corps qu'on manipule. Dans Matrix, au moins, les choses sont claires. Si le corps peut être endommagé, voire détruit,  on ne peut se plonger dans la matrice qu'à condition d'avoir éteint son corps, et non en en allumant un autre... Cameron est du côté de la kinébactérie. Les frères Wachovski du côté de la spiritualité joypadienne. Point. 

 

 

Le vrai sens de la virtuosité est dans la manette.

 

3. Il y a bien sûr, certains gestes avec la manette qui ont toujours eu un semblant d'analogie avec le réel. Il a toujours fallu appuyer de façon répétée et rapide sur le même bouton pour soutenir une action virtuelle. Mais le reste des combinaisons sont arbitraires, et appelle un vrai travail de recomposition du geste, une véritable traduction. Un shoryuken = avant, bas, diagonale bas – c'est-à-dire un hadoken "brisé", commencé puis avorté. C'est là que se joue vraiment la virtuosité. Si je voulais aventurer une définition, je dirai que la virtuosité est la traduction stylisée d'un geste. Un symbole du geste lui-même. Et en cela, la virtuosité sollicite en nous une véritable intelligence du geste. La posséder, c'est savoir qu'un geste simple n'est jamais simple, mais qu'il n'est qu'une collection de gestes qu'on peut toujours réduire au minimum. Cette réduction, c'est la virtuosité.

Le propre de la kinébactérie est au contraire de faire bouger, de mettre socialement les corps en réseau en les projetant sur une interface virtuelle. La conséquence de cette socialisation – non plus du jeu, mais des conditions du jeu – est d'éliminer la recherche du geste parfait. Car le geste parfait procède par la soustraction des fausses relations, par l'épuration des faux gestes, et des effets de style – la virtuosité est impersonnelle. Le pianiste virtuose est celui qui sait ce qu'il suffit de faire pour faire sonner le marteau contre la corde. Il connaît le mécanisme du piano, il l'épouse. Rien de moins virtuose donc, que d'envelopper un gestes de scories et de minauderies en tout genre. Devant votre écran, avec vos amis, vous parlez, vous sautez, vous vous agitez... et c'est littéralement la générosité et la gratuité du jeu social qui vous fait vous sentir au chaud dans cette espace commun. Le canapé compte plus que l'écran. Le gamer virtuose, quant à lui, ne sera jamais généreux. C'est le prix de sa virtuosité. La lumière froide de son écran plasma est la seule chaleur dont il a besoin. Et quand il se laisserait prendre à contempler, le temps d'un instant, les arbres magnifiques, les effets de neige et de lumière, il les soustrairait aussitôt de sa perception pour ne retenir que la silhouette... d'un chien espion surgissant d'entre les barbelés d'un camp de prisonniers russes.

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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 16:08

 

Just-Cause-2_Vue-plongeante.jpg

"Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j'erre ? Pourquoi je suis habillé en noir ?"

 

Pas besoin de grandes phrases pour présenter le jeu. Vous jouez un mercenaire, doté à dessein d'un nom ridicule de pornstar (Scorpion), censé semer le chaos – en open space, sur un archipel. Terre, mer, montagne, désert. L'ensemble représente 1000 km2 explorables. Je ne peux pas en dire autant de mon appart. 

Autrefois, si vous étiez un galérien, au 19ème siècle, un oisif – un faquin ! – vous pouviez toujours écrire pour passer le temps. Vous ratiez votre vie, votre carrière militaire, votre frère philosophe et contre-révolutionnaire vous faisait de l'ombre. vous ne pouviez vous taper aucune meuf parce qu'elle étaient toutes romantiques, et qu'elle se seraient damnées pour un Keats ou un Yeats plutôt que pour un militaire raté. Qu'à cela ne tienne. Vous n'achetiez pas une PS3, mais vous sortiez vos plumes. Et vous parliez de votre voyage dans une chambre pour parodier joyeusement tous les vrais homme, tous les vrais aventuriers. 

Xavier de Maistre en tout cas l'a fait. Et sans le savoir, il anticipait déjà sur tous les jeux open space à venir. Parce qu'il parle merveilleusement de l'ennui, de l'imagination procrastinatrice, et de l'urgence sexuelle dans laquelle vit le geek/rêveur. Xavier de Maistre c'est le nolife du 19ème... sauf qu'il allait probablement voir des prostituées syphilitiques une fois de temps de temps plutôt que de traîner sur les tchats de cul. Imaginez deux trois parts de pizzas qui traîne par terre, et des factures impayés, et vous avez la vie d'un gamer.

Extrait du Voyage autour de ma chambre. Goûtez :

 

"Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria ; sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage car je la traverserai souvent en long et en large ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent : "Aujourd’hui je ferai trois visites j’écrirai quatre lettres, je finirai cet ouvrage que j’ai commencé." Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments ; elle reçoit si avidement tout ce qui se présente !… Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses sur le chemin difficile de la vie ? Elles sont si rares, si clairsemées, qu’il faudrait être fou pour ne pas s’arrêter, se détourner même de son chemin, pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée. Il n’en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façon, et je m’y arrange tout de suite."

"Et je commence à jouer à ma PS3" aurait-il pu ajouter...

 

Just-Cause-2_Xavier_de_Maistre.jpg

Le front surdéveloppé du geek. Typique.

 

Le parcours de Xavier de Maistre dans sa chambre, c'est le parcours de votre avatar Scorpion sur l'île virtuelle. Dans les deux cas, vous partez plein d'entrain, et dans les deux cas, vous finissez par vous saborder. Je ne vais pas détailler le fonctionnement du jeu. Je trouve tellement plus classe que X2Maistre en traduise l'essence que je préfère laisser à ceux qui veulent en découvrir les détails par eux-mêmes le soin de le faire (la prochaine fois, je vous promet Shakespeare expliquant Vanquish, ou Racine dissertant sur God of War).

En attendant, le principe est là : vous allez d'un point A à un point B, de préférence en volant une pauvre bagnole familiale à un habitant de l'île. Vous pouvez même l'écraser pendant qu'il lève les bras en criant à l'injustice. Et vous roulez cinq minutes. Les décors sont réussis. Les variations météo parfaites. Il peut même pleuvoir. Et comme dans la vie réelle, il se peut que vous développiez une nette préférence pour les couchers de soleil romantique, dans votre hélicopter en feu volant au-dessus de l'océan. 

Mais au bout de ces cinq minutes, une petite alarme sonne dans votre cerveau. Vous avez besoin d'action. Vous êtes au beau milieu de nulle part – normal, la carte est tellement grande – et vous avez besoin de faire quelque chose. Vous pourriez juste faire une embardée et percuter un automobiliste. Ok, mais pas assez drôle. Vous pouvez faire tellement plus. Alors vous sautez de voiture en voiture grâce à votre grappin. Ok, mais pas assez drôle. Alors vous foncez tout droit avec la bagnole la plus rapide que vous pouvez voler au milieu du désert. Elle explose. Ok mais pas assez drôle. Alors vous provoquez les militaires, jusqu'à ce qu'un hélicopter vous réduise en steak à la verticale. OK, c'était drôle. Mais vous venez d'abandonner votre mission en plein course.

 

 

 

Une épure d'errance suicidaire.

 

Vous n'avez même pas parcouru la moitié du jeu, et vous êtes déjà fait sauter la cervelle simplement pour voir ce que ça faisait. Pourquoi ? Parce qu'il est interdit de s'ennuyer dans un jeu. C'est un jeu. Du coup, c'est votre capacité même à vous fixer un but qui est mis à l'épreuve (et paradoxalement très peu récompensé, dans Just Cause 2 en tout cas). Vous pouvez tenter de détruire tous les postes de communications de l'île, ou attaquer toutes les raffineries. Mais pourquoi ? Dans quel but ? C'est quoi la vie d'un avatar aussi frimeur qu'Antonio Banderas dans Desperados I & II qui crie comme un poivrot dès qu'il bute un passant ? Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?

Et alors que vous vous posez ces question aux commandes de votre Boeing 747, vous voyez une tour à l'horizon, et vous avez envie de vous crasher pour voir si les programmeurs ont pensé aux détails possibles d'une redite du 11/09/01... Et si, avant le crash, vous sautez, vous  vous retrouvez à combattre une vingtaine de militaires, et vous finissez par cracher tout votre dernier litre sang sur les bottes d'un trouffion lambda. 

Vous n'avez pas progressé d'un poil et vos pulsions auto-destructrices ont encore eu raison de vous.

 

Pour le comprendre, il faut relire X2Maistre. Il faut recommencer à croire que vos ancêtres ne sont pas de gros ringards fardés, mais qu'ils avaient eu tout le temps avant vous de comprendre le tragique de l'existence. 

"Eh, X2M., s't'eupl', est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi on est tous à ce point suicidaires dans les jeux open space ?

– Mais bien sûr, je vous renverrai derechef au chapitre VI de mon génial ouvrage pour vous répondre. Je me suis aperçu, par diverses observations, que l’homme est composé d’une âme et d’une bête. – Ces deux êtres sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l’âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état d’en faire la distinction.

– Merci, mon pote. Je ne sais pas si ça va vraiment nous servir, mais c'est toujours sympa de savoir qu'on est schizophrène. Néanmoins, le point que tu marques, c'est qu'on ne sait pas immédiatement ce qui nous pousse à adopter des comportements aussi nihilistes."

 

 

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"Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ des possibles." Pindare. 

 

Et c'est là tout le problème. Une fois revenu à la raison, on se rend compte qu'on a répété le même schéma, encore et encore. Mais en attendant, l'addiction au jeu consiste à différer le plus longtemps possible la révélation de "la bête" qui est en nous. On peut toujours cliquer sur "continuer" pour éviter cette révélation. On peut toujours cliquer sur "sauvegarder" pour ne pas avoir à affronter la vacuité de nos suicides vidéos. Si la partie s'achevait réellement avec nos cascades mortelles – si on était en train de jouer à Ghost'n'Goblins, où chaque vie compte – on ferait attention, parce qu'on serait en mesure d'identifier ce qu'il y a littéralement de "bête" et d'implusif en nous. Mais les jeux récents développent des systèmes de sauvegarde qui permettent de prolonger la partie le plus longtemps possible. Et surtout, dans le cas de Just Cause 2, le jeu est curieusement non-progressif, ou en tout cas, n'incite pas à progresser. On améliore à peine nos armes ou nos véhicules. Il vaut mieux toujours les voler à droite à gauche, plutôt que préférer une stratégie furtive et prudente. Le jeu ne ment pas : il faut semer le chaos, jusque dans votre propre base pour pouvoir gagner des points. Chie là où tu manges. C'est le but.

Pourtant, si, comme X. de Maistre on a tendance à s'arrêter en plein chemin, et abolir tous nos beaux projets, c'est aussi à cause d'un détail tout bête : si vous mourrez, vous revenez dans la carte à partir de la base la plus proche. Il y en a à peu près sept ou huit (je n'ai pas envie d'être retenté par un crash de Boeing pour le vérifier) sur la carte. A chaque résurrection, vous ragez de vous retrouver toujours aussi loin de vos objectifs. Votre mission est pourtant simple. Il s'agit de semer le chaos. Mais cette destruction entraîne toujours, comme par magie, votre propre auto-destruction anticipée. Et vous mourrez comme un bouffon parce que vous avez voulu voir si avec le tank vous pouviez quand même sauter d'une falaise enneigée et ne pas exploser au moment de l'atterrissage (c'est possible, mais dès que vous quitter le véhicule, celui-ci a une propension assez formidable à exploser). J'ai dépassé les 56 heures de jeu, et je n'en ai même pas encore atteint les 50%... Je rassure tout le monde : je mettais France culture en fond sonore au moment de mes vols planés – pour compenser la chute.

 

 

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Qui a dit que les jeux vidéos signaient la fin de tout romantisme...? 

Un coucher de soleil en Hors Bord... what else ?

 

N'était-ce que moi, qui étais assez taré pour risquer perpétuellement les joies du suicide virtuelle ? Non. Les quelques fois, où le Peace Provider ou le Fils de la Vérité ont pris la manette en main, l'effet a été sensiblement le même : l'exploration s'est transformée en auto-destruction. Je les ai vus grimper des falaise au grappin pendant vingt minutes, et se jeter dans le vide après. 

Mes expériences de gamer me confirme que ce n'est pas propre à tous les jeux open space. Ni infamous, ni Prototype ne m'ont poussé au suicide auparavant. L'environnement urbain modélisé était trop stimulant et moins dangereux pour avoir le temps de s'ennuyer. Mais Just Cause 2, aussi beau et prenant soit-il, vous confronte à votre propre vanité de gamer. C'est Pascalien. Du divertissement pur et dur. Magnus Nedfors, le directeur de programmation le confirme malgré lui quand il répète à tout bout de champ qu'il "ne veut rien prendre trop au sérieux", et qu'il accepte que son jeu soit "stupide dans le bon sens". 

En fait, il me semble qu'avec un discours pareil, le jeu vidéo indique de lui-même sa propre fin. On édite désormais des jeux qui s'écroulent sur eux-mêmes. Il ne tient plus qu'à vous de rester ou non sous les décombres. Après vous avoir suicider de si nombreuses fois, vous ne pouvez que remercier Magnus de vous avoir paradoxalement donné envie de sortir dehors, et de traîner l'air hagard entre des carcasses de voitures ensevelies sous la neige. 

Mais encore une fois... De Maistre, notre faquin oisif, l'avait déjà pressenti. Après la glande, le retour au monde réel, à marche forcé. Car plus vous glandez, plus vous pouvez aussi vouloir abandonner votre "bête" sur le bord de l'autoroute.

 

"Jamais je ne me suis aperçu plus clairement que je suis double. – Pendant que je regrette mes jouissances imaginaires, je me sens consolé par force : une puissance secrète m’entraîne ; – elle me dit que j’ai besoin de l’air du ciel, et que la solitude ressemble à la mort. – Me voilà paré ; – ma porte s’ouvre ; – j’erre sous les spacieux portiques de la rue du Pô ; – mille fantômes agréables voltigent devant mes yeux. – Oui, voilà bien cet hôtel, – cette porte, cet escalier ; – je tressaille d’avance.

C’est ainsi qu’on éprouve un avant-goût acide lorsqu’on coupe un citron pour le manger.

Ô ma bête, ma pauvre bête, prends garde à toi."

 

(impossible de bien comprendre la fin du livre sans lire le reste ! Eheheh... vous voilà obligé d'un planter un oeil ici)

 

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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 21:08

 

GOW3 GodOfWarIII PS3 Ed026

Là où Kratos passe, la culture grecque trépasse.


Kratos est mort, vive Kratos.

Enfin ! Le gros macho à barbichette et à la voix rocailleuse de steack gonflé aux hormones est mort !... Et cette mort prouve que, quelque part dans le monde du jeu vidéo, on a entendu parler d'un truc qui s'appelait la tragédie. Car Kratos ne fait pas que mourir, il se suicide.

 

 

Suicide de Kratos.

       

Il prend la grosse épée phallique de papa Zeus, et il se la plante tout seul dans le bide, parce qu'il en a marre de vivre. Geste physiquement impossible tellement l'épée est grosse – l'animation d'ailleurs est ridicule, et bâclée... Mais c'est une fin tragique tout de même. La trilogie God of War est même devenue une véritable tragédie kitsch au fil des épisodes – c'est le style du jeu : rejouer Kill Bill en butant un à un tous les dieux du Panthéon. Sur cet épisode comme sur les autres, les concepteurs s'en sont donnés à coeur joie. Pendant toute la longueur du jeu, l'Olympe se trouve infestée de mouches qui bourdonnent comme autant d'Erinyes s'abattant sur Oreste après son crime. Et lorsque les dieux apparaissent, ils ne se lassent pas de répéter avec un air narquois "tiens, mon cher Kratos... tu es venu accomplir ta vengeance ?" parce que littéralement votre personnage est devenue une blague tellement il multiplie les déicides et les cycles des vengeances alors qu'il ne voulait que tuer Zeus au départ.

 

 

Mort de Zeus.

 

Mais le jeu a beau avoir cette ambition, il n'arrive pas à conduire le tragique jusqu'au bout. C'est le problème de tout jeu vidéo par ailleurs : on ne pourrait pas faire de Roméo et Juliette un bon jeu vidéo sans quoi, vous arriveriez à temps pour sauver Juliette, vous pourriez la prendre sur un tapis de roses en bougeant bien le stick, vous arriveriez à vous marier après avoir passé le quick time event, et enfin mourir heureux après avoir passé tous les niveaux de la routine amoureuse et de la vieillesse douloureuse. Bizarrement, faire se suicider un personnage coûte toujours autant à l'industrie du jeu vidéo :

 

Indice n° 1.

Juste après le générique de fin, une dernière image montre la trace de sang s'étendre jusqu'à un rebords de falaise... "Oh putain, Kratos a sauté pour se tuer une troisième et dernière fois !" C'est ce que j'ai pensé spontanément. "Peut-être que Kratos n'avait pas envie de revenir pour un ultime épisode où il saccagerait les derniers mythes ou les dernières comédies grecs... Il lui restait quoi, de toute façon ?... Tuer Midas avant que celui-ci ne se tue lui-même... rejouer les pièces d'Aristophane ? Exploser les vendeurs de légumes ? Violer les femmes qui privent leurs maris de sexe parce qu'ils sont partis faire la guerre (Lysistrata) ? Latter les animaux sauvages qui plaident leurs causes auprès des chausseurs pour ne pas se faire manger (les bêtes sauvages, de Cratès)..."

Quoi qu'il en soit, ce que j'ai pensé spontanément reste très éloigné de ce que les exploitants de la licence ont imaginé. Kratos n'est pas complètement mort. Il va revenir dans une suite car, bien sûr, il eu le temps de se guérir en rembourrant de laine de brebis spartiate l'énorme trou qu'il a au ventre. On a annoncé que son frère devrait être le héros de cette suite (pour l'instant, il y a seulement un nouvel épisode de la suite sur PSP). Peut-être qu'il va voir Kratos mourir dans ses bras, et promettre de le venger. Again ! De toute façon, la vengeance est cyclique, et ça, les plus fainéants des scénaristes l'ont bien compris. 

 

 

 

Kratos erre dans les ténèbres pour retrouver l'espoir. 

 

Indice n° 2.

Le scénario labyrinthique de GOW suggère que le suicide de Kratos n'en est peut-être pas un. Il pourrait ne s'agir, au fond, que d'un sacrifice humaniste. Kratos prend la décision de se suicider, parce qu'en mourant, il relâche ainsi le pouvoir ultime qu'Athéna avait celé dans la boîte de Pandore et dont Kratos inconsciemment s'était emparé : l'espoir. Tous les hommes retrouvent alors l'espoir, pour qu'ils arrivent à vivre dans un monde parfaitement choatique et terrifiant. Autrement dit, le suicide de Kratos est un sacrifice : il renonce à son pouvoir pour les autres.

 

 

 

Kratos tue Sue Ellen... euh pardon... Héra.

 

Mais c'est d'abord un énorme contre-sens sur le mythe de Pandore. Dans le récit original, l'espoir est enfermé dans la boîte, avec la misère, la maladie, la passion et j'en passe, parce que l'espoir est une véritable saloperie... Par anticipation, il fait naître la crainte de sa propre mort. N'espérer rien et s'attendre à tout, voilà le vrai courage. Kratos condamne donc encore davantage les hommes. Le voir revenir pour dévaster des cités entières aurait davantage de sens de ce point de vue. Il pourrait revenir exploser Paris, Londres, Pékin, New York, en s'en prenant un à un à tous les mythes nationaux. Buter un coq géant et le plonger dans une grosse marmite pour en faire un coq au vin... servir le thé dans le crâne de la reine d'Angleterre. Faire des graffitis capitalistes tout le long de la muraille de Chine... Je suggère.

 

 

 

Kratos et son premier meurtre homophobe.

Hermès est joué encore davatange comme une sorte de tapette dans la version française. 

Insupportable. Et comme par hasard, il se tranforme en mouches à merde une fois qu'il meurt.

 

Mais le scénario est si aberrant qu'on peut lister les contradictions : Kratos aurait tué tous les dieux, un à un, par espoir...? Kratos se suicide alors qu'il est plein d'espoir...? S'il avait de l'espoir, il aurait dû calmer Zeus en lui préparant une pizza, en lui servant des bières dans un canapé et discutant avec lui du dernier album de Sufjan Stevens sur l'amour et le chaos.

On continue la liste ? Kratos se fait par exemple aider par Pandore, dont il a trucidé le père cinq minutes plus tôt, et pour qui il est prêt à mourir cinq minutes plus tard... Athéna qui s'est faite tuer pour sauver Zeus, se serait en réalité faite tuer intentionnellement pour revenir se venger de Zeus et récupérer le pouvoir qu'elle avait elle-même celé dans le coffre...? Elle aurait vraiment fait ça, la déesse de la sagesse ?

 

 

Comment Hercules finit dans les égoûts après avoir revécu la scène d'ouverture d'Irréversible...

 

Le jeu a donc des faiblesses. Mais une qualité générale : il met en abyme l'auto-destruction inhérente à tout jeu d'action. Pour être un bon jeu d'action, il faut que le personnage échappe à des périls de plus en plus grands, ce qui implique de provoquer (plus ou moins accidentellement – tout l'enjeu du scénario est là) la destruction du monde pour y échapper. Tout personnage est alors conduit à la fin du jeu au bord d'un précipice pour contempler un monde vide, sans espoir, après qu'il ait concentré en lui tous les pouvoirs possibles (comme dans Infamous, ou Prototype). Ce que tente alors un jeu un peu plus conscient comme God Of War, c'est de montrer que le désir qui habite le joueur n'est pas étranger à cet engrenage de destruction.

 

 

 

Mort de Poséidon.

 

C'est devenu un cliché de souligner dans tout film à quel point le désir de violence de la part du spectateur est la cause même de la violence montrée à l'écran (cf la double démonstration, lourde et étouffante, de Michael Henaeke dans Funny Games, et Funny Games US). Maintenant, ça va aussi devenir un cliché de montrer à quel point le joueur participe à la violence de laquelle il aimerait se tenir à distance par le jeu. Je vous prédis de bon débat de télé de service public dans les années à venir.

Le moment ultime de cette mise en abyme est celui de la semi-cinématique de la mort de Zeus. On l'a tué, et le jeu nous offre de lui exploser le crâne en appuyant stupidement, encore et encore, sur un seul bouton. Le gameplay du jeu impose de faire toutes les combinaisons qui apparaissent sur l'écran pour survivre et exécuter le mouvement final. Alors dès qu'on voit clignoter le bouton "rond" en bas à gauche de l'écran, on appuie jusqu'à ce qu'il cesse de clignoter. Le bruit est de plus en plus dégueu. La caméra en vue subjective se remplit de sang, jusqu'à devenir absolument rouge. Et pourtant, comme le bouton "rond" continue de clignoter, on continue d'appuyer, jusqu'à se retrouver un peu idiot en train de se demander pourquoi on continue d'appuyer. La démonstration est simple : le personnage voit rouge, le joueur aussi. Le salut du joueur/personnage consiste à ne plus jouer/tuer – et à enfin aller préparer sa bouffe de célibataire qui attend dans le freezer. 

 

GOW3_kratos-et-soubrette.jpg

Terrifiant, n'est-ce pas ?

 

Peut-être que ce message était inhérent à la série elle-même. Mon pote, le Fils de la Vérité, m'avait d'abord vendu GOW II en me racontant les épreuves herculéennes et les ennemis colossaux qui attendaient Kratos. Il en parlait comme si on pouvait véritablement revivre la violence de la mythologie grecque, comme si ce jeu vidéo avait eu la sagesse de bien comprendre que le monde grec était en fait violent, sanglant et absurde, et non calme, éternel, et rationnel comme on le présente souvent dans les mauvais cours d'histoire. D'une certaine façon, c'était notre version numérique "Naissance de la tragédie". 

Mais un point nous gênait particulièrement. Le nom du personnage était débile. Son character designing plus proche de Conan le Barbare que d'un hoplite athénien. Son bouc ressemblait au système pilleux maltraité d'un métalleux déshydraté par trop de concerts d'affilée passés à côté des enceintes. Les couteaux attachés à des cordes sentaient trop l'invention du geek qui fait tous les forums à se demander quel est l'arme ultime d'un demi dieu... On ne l'aimait pas, mon pote et moi, parce qu'il dissonait avec la fidélité du reste des décors et des ambiances.

 

GOW3 kratos-cosplay

Je crois que je le connais... sur bearwww.com...

 

Mais dans le fond, Kratos, justement, c'était ça, l'étranger, le barbare. Kratos est celui qui va détruire les dieux de l'Olympe, celui qui va détruire tous les mythes Grecs, un par un, arracher les ailes d'Icare, tuer Hadès, embrocher Arès, fendre Zeus en deux dans le sens de la largeur et de la longueur, réembrocher Athéna... Il est en train de détruire chaque pan de sa propre culture, et il en demande toujours plus en grognant de rage. Il est le geek moderne qui demande en nous la ruine de toute tradition.

 

GOW3_DjimonKratos.jpg

 

 

Mais le plus troublant est la nouvelle que Djimoun Hounsou, l'acteur d'entre autres Amistaad, Blood Diamond ou de In America (son meilleur rôle), est pressenti pour jouer Kratos lui-même dans l'adaptation cinématographique. Suprême hérésie (savamment calculée ?) : seul un authentique "barbare", béninois d'origine, américain d'adoption, pouvait jouer à l'écran un spartiate qui précipiterait la fin du monde grec. Je ne sais pas quel scénario pourri les producteurs confieront au beau gosse d'ébène, mais, malgré lui, le film sera de toute façon emblématique de nos fantasmes contemporains.

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13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 00:01

 

SSFIV ken street fighter hadoken rubixel highres

      La modernité pixellisée d'un Hadoken en plein coucher de soleil.


Le jeu vidéo lui aussi expérimente les joies du post-modernisme. En des temps anciens, il a d'abord fallu que tout soit plus rapide, plus beau, plus dense. Qu'il y ait plus de joueurs, plus de personnages, plus d'armes, plus de scénarii... Puis, trente ans plus tard (en étant généreux), il faut que les jeux reviennent aux bases, s'inscrivent dans une tradition, jouent avec les codes, hybrident les modes de jeu. Joies du post-modernisme.

Ainsi Super Street Fighter IV. But avoué de SSFIV : ne pas faire évoluer le titre, mais faire renaître le plaisir des primo-gamers de Street Fighter II (turbo et cie). Street Fighter est-il en fait un manifeste sauvage en faveur du rétro-gaming ?... Définition du rétro-gaming : rejouer aux anciens jeux. Hypothèse pour redéfinir le rétro-gaming : privilégier le plaisir sur la forme (et supposer que les plaisirs de joueur n'évoluent pas).

 

SSFIV ryu street fighter hadoken rubixel highres

Par "VK"... Ou "UIC"... ou "L'IK"... C'est tellement polysémique une signature en pixels/rubixcube.

 

Pardon pour cette entrée en matière sauvage, débridée et conceptuelle. Mais voilà mon étonnement : le jeu est cool, mais la musique de SSFIV ne vaut même pas un couplet d'eurodance hongroise.

Dès l'écran titre, l'écart est vertigineux. Ryu, le mapping impeccable, en pleine mer, en pleine nuit s'apprête à balancer son Hadoken à la gueule de Ken. Tous les gestes des persos sont surlignés par un tramage qui donne aux valeurs un effet "gravure". En complément, des éclats d'encre explose à l'écran à chaque impact + toute la fluidité des super effets de fumée. Le vent, la vitesse, l'énergie qui se concentre dans les mains de Barbie Ryu... tout est prétexte à une super concentration d'effets.

 

 

       

On pourrait être stupéfaits, puis l'écran titre tombe. Et alors tourne une petite musique aussi plate que le cardiogramme de Claude Chabrol (paix à son âme). Alors bien sûr, on continue à jouer, mais avec des hauts le coeur à chaque solo de guitare électrique synthé.

 

 

 

"Pourri"... Vous pensez que c'est subjectif ? appuyez sur le bouton "play"...

 

Le mec qui a chié ce truc a dû se dire, il n'y a pas longtemps – à l'âge adulte donc – que putain c'est incroyable un synthétiseur tellement ça peut faire des sons différents. Puis il a dû se dire, en continuant à appuyer sur la flèche qui fait défiler les sons, que putain c'est incroyable un synthétiseur tellement tous les sons se ressemblent et tellement ils sont assez différents pourtant pour être tous désagréables d'une façon différente.

 

 

La musique de l'écran titre.
Si votre cerveau vous fait entendre quelque chose comme un train de l'enfer en train de dérailler
avec des écoliers à bords en train de crier...
c'est que vous êtes normal.

En fait, le mec qui a été embauché pour la musique a dû tout simplement être cryogénisé avec son synthé, sorti du congélo, puis remis dans son cube de glace quelques petites minutes plus tard... minutes durant lesquelles il a dû pondre ces mélodies pourries avec un flingue sous le menton en écoutant tous les tubes de Daft Punk en accéléré.

 

 

Le japonais qui a fait ça a le sens de l'humour...

Le thème de Balrog, le boxeur black, est aussi vocodé que n'importe quel tube R'n'B des trois dernières années.

 

 

La samba selon Capcom...

Attendez le solo de guitare éléctrique pitchée, qui ne ressemble à rien...

(et à 1'52, déboulent les trompettes de mariachis !)

 

Ah et pour rigoler, et pour bien montrer que les critiques de jeux vidéos sont tous des pourris. La note de la bande son sur jeuxvideo.com : 16/20. Ehehe. Pas besoin d'épiloguer sur leur goût de chiottes. Les prétentions du jeu vidéo à passer pour un art sont assez comiques quand on sait qui les porte, et avec des critères de goût aussi bas. Je connais des petits frères de critique de jeuxvideo.com qui ont du être bien servis par Capcom cette année.

Mais je peux être magnanime dans mes critiques (à condition d'être plus pervers ensuite)... Après tout, dans le jeu il n'y a que la musique d'"affronte ton rival" qui soit à peu près stimulante, grandiose et épique. Pourtant, en étant honnête, même si on est content d'entendre des cordes, et un peu de subtilité, ça ne colle pas. Attention, pas parce que SSFIV est un jeu de baston qui exigerait une musique aussi violente ou rythmée que le jeu elle-même – ça c'est ce que les concepteurs de Capcom ont pensé avant de réécouter le best of Enigma qu'une ex avait oublié chez eux. Parce que sur quantité de jeu d'action, ça marche super bien ce genre de contraste. Un truc usé jusqu'à la moëlle dans les films : tout le monde se fait buter, mais vous ralentissez les images, vous lâchez deux trois colombes le plus sincèrement du monde, et vous glissez le seul air d'opéra que vous connaissez au milieu de tout ça... et ça marche ! (puis vous partez aux States et vous vieillissez en faisant des films de merde et en remerciant les Inrocks de vous trouver toujours aussi génial... any similarity to actual people, living or dead, is purely coincidental).

 

SSFIV super-street-fighter-iv-ryu fix psd jpgcopy

La vraie bonne idée du jeu (ou plutôt de la démo) :

remodeler tous les persos pour faire comme s'ils étaient dessinés en temps réel

(le geste du combattant comme analogie du geste du dessinateur).

Ouh yeah.

 

Mais là, ça ne marche pas. Le jeu Street Fighter ne tolère pas autre chose qu'une musique compacte, toute droite et répétitive. En fait, toute musique un peu narrative, ou cinématique foire totalement. Le jeu est super stressant, je ne lui retire pas ça, mais les écarts de rythme ne sont pas suffisants. Il n'y a pas de moment de calme avant la tempête. Il n'y a pas de chaos absolu de plusieurs minutes. On n'est pas dans un Call of Duty – qui a cette grande qualité d'émerger le joueur sur des périodes longues de calme ou de stress. Bref, dans le fond, ce n'est pas la faute de la musique, mais la faute du jeu. Le jeu commande une musique d'ambiance (genre porno), aussi rythmé et stupide pour n'importe quel ado s'y sente à l'aise (genre tunning). 

Paradoxalement, il se peut qu'on trouve dans tout ça quelque chose de rafraîchissant. La musique s'infiltre partout aujourd'hui (c'est quantifiable en nombre d'ipod vendu – sinon je ne me permettrais pas de telle généralisation). Désormais, il y a un espace où on sait qu'elle ne peut pas rentrer. Ou plutôt, si elle y rentre, elle est aussitôt transformée en quelque chose de militaire (parce qu'au fond, le porno et le tunning mêlés ça donne quelque chose de militaire). 

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1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 10:59

 

Scénario ps3 bayonetta 1216594821 4

Bayonetta. Le personnage est bien. Le scénario est bidon.

 

Le jeu vidéo c'est génial, marrant, plein de fun... mais qu'est-ce que c'est con. Il est sain de savoir être con. Parce qu'il est agréable de voir un coup se charger en gardant seulement le doigt appuyer sur le bouton. Qu'il est bon de voir des tonnes d'effets de fumée, de feu, de lumière stroboscopique se déclencher sous le seul prétexte d'un coup de magie. Et qu'il est jubilatoire (le mot le plus dénaturé par la critique vidéoludique) de se sentir triompher d'un boss de fin arrogant, qui mesure vingt six fois plus que son propre personnage. Mais quand les programmateurs justifient platement l'accession du jeu vidéo à l'art parce qu'il copie le cinéma, avec un scénario et des images, on a direct envie de leur envoyer un pain dans la gueule. Les mecs, vos scénarii sont à chier. 

D'aucuns diraient qu'un jeu contient trop de rebondissements pour ne pas finir en salmigondis informe. Multiples personnages, multiples niveaux dont il faut justifier l'existence, boss de boss, bras droit de bras droit. Ils ont raison – tout ça est aussi insoluble qu'une équation à dix degrés, ou qu'une saison de Flashforward. Mais on pourrait se contenter de faire un scénario tout aussi linéaire : on bute un boss, et le deuxième vient venger le premier, mais il est plus gros, le troisième vient venger le deuxième, mais il est encore plus gros et porte un bandeau de pirate. Etc. Un bon scénario, ultra plat, mais à l'exacte mesure du plaisir du joueur.

Le problème vient surtout de ce que ces "scénaristes" prétendent faire artistique, ou plutôt cinématographique – bien qu'on connaisse mieux qu'eux tous les twists possibles de fin de films. Du coup, ils plaquent ce qu'ils pensent connaître sur un jeu dont l'essence est de combiner des ronds, avec des croix, des carrés ou des triangles. C'est le cas Bayonetta, le beat'em all le mieux noté de tous, le plus applaudi de tous, conçu par le père des Devil may cry, Hideki Kamiya, qu'on accablera donc ici. Mais c'est très probablement le cas de plein de RPG interminables – tous les Final Fantasy, certainement... mais jouer une soubrette écolo aux gros yeux qui forcent des créatures mignonnes à se battre, et qui s'entoure d'autres persos aux yeux encore plus gros, me fait personnellement flipper.

 

Scenario_final-fantasy-xiii-lightning.jpg

Quand on est aussi mignonne que ça, on a plutôt envie de monter un groupe d'emo

plutôt que de risquer de se faire violer par des monstres, nan ?

(et ça vaut aussi pour les personnages masculins)

 

Dans Bayonetta, on joue une sorcière (habillée comme une pute paraguayenne – aucune idée de ce que ça donne mais ça sonne bien). Une sorcière, mais tiens tiens tiens... qui a perdu la mémoire. Donc ça, les mecs, on sait que c'est un truc de scénariste depuis qu'on a l'âge de regarder des dessins animés à la télé – et on a tous bien fait chier nos parents pour savoir si c'était possible dans la vraie vie. Très mauvais départ cette amnésie, d'autant qu'elle n'est pas expliquée une fois.

Bayonetta, comme elle ne sait pas qui elle est, a des flashbacks dès qu'elle aperçoit un truc. Au hasard une autre copine sorcière, Jeanne. Et là, dès la deuxième cinématique, on est paumé. Car les gentils scénaristes nous laisse flotter dans une incertitude typique des jeux vidéos. Elles sont amies ou ennemies ?... pourquoi Jeanne ne l'aide pas, ou sinon, pourquoi elle ne la tue pas ? Oui, car dans notre monde, c'est à peu près ce qui devrait arriver si on a des flingues magiques, et l'assurance de n'éprouver aucun regret, et qu'on ne sait pas qui on est mais qu'on se souvient seulement que cette personne nous a buté dans le passé. Mais dans le monde du jeu vidéo, manifestement, tout doit pouvoir être réversible, infiniment recomposable, sauvegardable. Imaginez un jeu, où vous n'auriez le droit qu'à une seule vie, une seule sauvegarde... là ça déconnerait moins. On serait tellement flippé de rencontrer un type chelou qui nous rappellerait le passé qu'on le tuerait immédiatement, ou qu'on chercherait tout de suite un bar virtuel pour se bourrer la gueule (à condition qu'on ait des euros magiques en poche en plus d'un flingue magique).

Je vous rassure tout de suite, cette Jeanne, c'est super simple : elle vous bute il y a 500 ans, vous la butez une deuxième fois, puis une troisième fois, puis elle se souvient que vous êtes copine, alors elle vous sauve, et elle meurt, puis finalement non, elle vous ressauve, puis vous mourrez, puis nan, vous êtes vivantes. Encore une fois... Mario lui ne s'encombre pas de justification scénaristique pour savoir pourquoi il revient dans le niveau une fois qu'il a glissé dans le trou, ou qu'il s'est pris une plante carnivore dans le cul. Car Mario, lui, il s'en fout du cinéma. Et il a raison.

 

Scenario_double-dragon.png

Double Dragon. Un vrai scénario de jeu vidéo.

Un mec tape un autre mec, qui a envie de lui coller une beigne en retour. Rebondissement : l'autre mec décide de revenir le taper au tesson de bouteille... La vraie vie, quoi.

 

Dans Bayonetta, il y a finalement "tout un univers". C'est comme ça qu'on dit quand il n'y a plus d'histoire. Un univers cohérent au moins ? Aussi cohérent qu'un résumé de la continuité DC, aussi compréhensible qu'une notice de four micro ondes multi-fonctions... ça l'est probablement, mais on va plutôt se contenter du minimum. Les anges (répartis en plusieurs niveaux) sont méchants, et les sorcière sont gentilles (eh oui ! – et on sent que ces scénaristes japonais dans un bureau ont dû se dire mais qu'est-ce qu'on est malin... on a inversé le bien et le mal !). mais vous n'êtes pas vraiment une sorcière, vous êtes mulâtre, mi-être de lumière mi-sorcière, pourtant, vous avez le pouvoir de l'oeil gauche des sorcières... Vous avez le cul entre quatre chaises autrement dit, deux chaises pour chaque fesses. vous avez des problèmes d'identité si grave, et un sex appeal si évident que vous devriez mieux de tourner dans un film de Woody Allen et sortir avec un vieux qui au moins peut vous apprécier à votre juste valeur. Mais on n'a rien dit tant qu'on n'a pas dit l'essentiel : vous recueillez une enfant dans le jeu. Et cette enfant... c'est vous ! Qui avez été projetée dans le futur (on ne sait pas comment) au moment où Jeanne (votre meilleure copine) vous a tué. Du coup, quand vous récupérer la petite fille, vous finissez par vous élever vous-mêmes, et devenir victime du paradoxe de l'écrivain : vous devriez avoir le souvenir de vous être élevé vous-mêmes dès le début du jeu... Quant à la fin du jeu, c'est grandiose : Bayonetta tue son propre père (c'est mal parti si elle voulait naître un jour... mais passons, tout le monde n'est pas aussi habile pour l'embrouille que les scénaristes de Lost), et tue le super créateur du monde et de toute chose... mais sauve le monde !

 

En fait, le plus drôle, c'est que Bayonetta est un personnage malpolie. Elle bute immédiatement le premier ange qui ouvre sa gueule pour lui expliquer qui elle est et pourquoi elle fait ce qu'elle fait... "Bam !". Puis elle rebute systématiquement tout ceux qui lui parle un peu trop longtemps. C'était la seule bonne intuition des scénaristes. Bayonetta, paradoxalement, c'est pas une péteuse qui apprécierait le scénario de son propre jeu vidéo – elle est l'essence même du bon gamer qui sait ce qu'est un jeu, et qui a envie de coller à pain à tous ceux qui lui expliquent que "nan, y'a quand même un scénario dans les jeux vidéo. Par exemple, dans Final Fantasy 17, il faut sauver l'arbre magique, parce que sinon...." – Bam ! Dans ta gueule.

 

Scenarion_bayonetta-06.jpg

On n'y comprend rien, mais on tape dessus quand même.

 

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9 juin 2010 3 09 /06 /juin /2010 22:49

 

Prototype-game.jpg

Prototype... une réminiscence de la belle tradition des arbres des pendus ?

 

Presque en même temps, l'année dernière, sont sortis deux jeux en open space urbain et à la troisième personne. Prototype et Infamous. Du jargon pour ne pas dire grand chose en fait... ç'eût été à la première personne, ou ultra scripté, on s'en foutait, car ces jeux avaient un autre point commun plus frappant encore : rendre possible le massacre à grande échelle d'une population innocente. 

Call of Duty 6 avait provoqué un scandale quand (dans une mission scriptée et en FPS) il fallait tuer le plus civils dans un aéroport. Et juste ça. Scandale (parce que la Suisse avait voulu interdire le jeu) et pourtant. Prototype et Infamous sont pires. Pires car plus réalistes et plus immoraux. La seule nuance dans la comparaison qui puisse être faite est que Prototype comme Infamous ne se présentent pas comme une fable politique lourdingue comme Call of Duty 6. Les deux jeux sont davantage ancrés dans un univers cyberpunk, conspirationniste, et hanté par la peur de la contamination. Mais si vous mettez le décor de côté, ces massacres restent, quoi qu'il en soit, plus réalistes, et plus immoraux. 

 

Prototype infamous-013 morning big

Infamous et le surplomb à la D. C. Friedrich : un avant-goût du masssacre ?


Plus réalistes. Les gens que l'on bute courent, crient, certes, mais au bout d'un moment, ils vous évitent, ils vous implorent, voire, dans Infamous (le plus réussi en ce sens), commencent à vous supplier à genoux, ou à vous jeter des pierres. Une meilleure interraction. 

Plus réalistes encore, parce que contrairement à Call of Duty, vous devez faire face aux conséquences de ce massacre. Dans Call of Duty, ce petit massacre de l'aéroport n'est qu'un prétexte scénaristique. Votre personnage meurt, et commence alors la vraie histoire. Bref, on a juste joué le prologue pompier d'un film raté. Cette fois-ci, vous vivez dans le sang de vos propres morts. Au fur et à mesure, la ville se délabre, le ciel devient rouge. Un peu cliché, certes. Mais l'effet est intéressant. Les gens sont infestés par votre haine, ou votre virus, et finalement vous avez dans les deux cas transformé la ville à votre image. 

 

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Une grosse influence écureuils volants pour Prototype.

 

Plus immoraux. Il s'agit de massacres à grande échelle, à l'échelle d'une population urbaine entière. Les deux scénarii vous mettent d'emblée dans une situation de contamination à grande ampleur. Mais quand Infamous s'embrouille dans une histoire de gangs mutants et de sectes, le fantasme de la guerre bactériologique alimente Prototype. Dans ce jeu, vous êtes le virus... Quelques petits problèmes d'identité s'ensuivent (un virus qui emprunte un corps est-il encore une personne ?). Mais comme tout bon virus, vous contaminez tout le monde, bien qu'indirectement (on peut seulement assimiler les passants). Et surtout le joueur obtient rapidement le pouvoir de tout détruire à grande échelle : lancer des tentacules de virus dans tous les sens, exploser des tas de bagnoles ensemble, jeter des hélicos sur les gens. Si vous êtes un peu en train de glander et que vous aimez l'effet vers grouillant du virus, vous pouvez même vous émerveiller du magma humain de bras et de jambes qui se produit en assimilant plusieurs types à la fois. Franchement, c'est le plus drôle, toute cette organicité. 

 

Prototype_12.jpg

Mieux qu'une diarrhée... des tentacules qui vous sortent du c... pour tuer tout le monde.

 

Mais surtout plus immoraux parce que votre personnage s'avilit à chaque massacre. Un seul jeu est vraiment concerné. Prototype développe assez mécaniquement cet aspect. Le virus se propage, et vous devenez de plus en plus capable de buter tout le monde, et de moins en moins sûr de qui vous êtes. Mais Infamous est plus intéressant, bien qu'encore au stade du concept : chaque mauvaise action noircit votre karma, et influence la réaction des gens. Votre tête de tyran est affiché partout dans la ville. Et votre corps se transforme en catastrophe pétrolière ambulante, purulant de jus noir... Nan, j'exagère un peu. Côté interraction des IA, le maximum qui puisse vous arriver est de vous faire jeter d'inoffensives pierres sur la gueule. Et d'un éclair, vous pourrez toujours vous venger en grillant le badaud et faire exploser les voitures alentour. 

Mais le principe est là. Car dans le fond, il y a un vrai effort dans Infamous. Tuer des innocents n'est pas facile au début. Parce que les gens sont assez cools. Et vous êtes l'un d'eux, un humain, le gentil couriser Cole, qui a une meuf et un pote relou – alors que Prototype est plus nietzschéen : le supervirus que vous êtes en a que dalle à faire des autres petits humains qui grouillent dans les rues. Surtout, dans Infamous, devenir bon ou mauvais est une affaire d'habitude. Vous savez que si vous devenez mauvais, vous ne pourrez redevenir bon qu'après encore plus d'efforts pour redresser la barre. Et les pouvoirs obtenus ne sont pas les mêmes. Bon, après l'avoir fini deux fois (un hiver un peu rude de solitude et de froid), je suis en mesure de vous affirmer que là encore, ça change pas grand chose. Mais l'idée est vraiment bonne, aristotélicienne pour le coup. La vertu ou le mal sont une affaire de tendance. 

 

Prototype_infamous_karma.jpg

Eh ouais, vous êtes méchant... mais c'est votre choix !

 

Désormais la fin du jeu acquiert une nouvelle dimension : vous êtes devenus le grand méchant, et vous gagné, mais parce que vous avez réellement persisté dans le mal (pour rassurer tout le monde et rester draguable, je tiens à préciser que j'ai d'abord réalisé l'option du gentil mec, avant de refaire en mode méchant). Pour arriver là où vous êtes arrivé, vous avez dû vous arrêter plusieurs fois dans les rues, tuer un à un les passants et leur sucer l'énergie vitale, niquer les flics, laisser la foule pendre des innocents (la meilleure idée). Et alors soudain, vous comprenez que ne pouvant plus revenir en arrière, vous n'avez d'autre choix que de persévérer dans votre vice. Là, le jeu est pleinement réussi : vous tenez le joypad et vous auteur l'auteur d'une tragédie. Rien ne pourra plus sauver Cole à partir d'ici... vous regardez votre sale gueule à l'écran, et vous comprenez que vous avez aussi une sale gueule dans la vie. Vous comprenez que dans la vie aussi, une faute n'est jamais isolée, mais que... si vous êtes seul en plein hiver en train de jouer à la PS3, c'est parce que vous avez fait une série d'erreurs... acquis une série de vices... répétés tellement de fois vos bourdes... que vous méritez d'être incarné par un enculé qui grimpe sur les toits comme un singe, et fait exploser le corps des méchants.

Alors vous reprenez le pad et vous niquez le méchant ! eheheh.

 

Prototype_infamous.jpg

Et bing. On est seul mais puissant.

 

 

Peuple de programmateurs, écoutez-moi !

 

Un truc génial, une idée brillante, que je communique gratuitement.

Et si plutôt que le karma, le jeu pouvait évaluer la célébrité... Plus le joueur accomplirait ses missions en faisant des cabrioles, de superbes acrobaties, plus il serait récompensé en points de célébrité, en points de prestige. Un peu comme dans Kick Ass, le comics de Millar, le joueur serait filmé par des passants, posté sur le youtube, et finalement plus ou moins plussoyé par des millions d'internautes. Ces points de célébrités seraient alors changés en argent, et en upgrade de pouvoirs. Après tout, de quoi s'agit-il dans Batman ou Spiderman, si ce n'est de panache et de prestige ? Dès que les héros ont porté des capes, ils ont fait de la justice une affaire secondaire.

 

Prototype_kick-ass_vol_1_2.jpg

 

En revanche, si le joueur est moins brillant, il devient un super héros de seconde zone. Pas un batman, mais un robin. Il est obligé d'avoir recours à quelques expédients, voire à quelques méfaits. Et doucement alors, pour récupérer des points de prestige, il pourrait choisir de devenir carrément un super vilain. Se changer en Red Hood (cf le dernier Batman and Robin de Morrison). Un choix s'impose alors au joueur, faire le beau, ou faire efficace. Laisser les rues s'infester de dealers pendant qu'on s'occupe du kidnapping d'une star, ou bien lutter laborieusement contre la pauvreté et la délinquance, quitte à rester un héros méconnu. On toucherait au coeur des problématiques contemporaines des comics. C'est plus drôle que le karma et moins moralisateur. La justice deviendrait une affaire d'opportuniste et d'arnaqueur. De vrai et de faux, et pas une affaire de bien et de mal. Vachement plus drôle, je vous dis. 

 

Prototype xstatix

Le premier groupe de super-héros avec journaliste "embedded"

(en la personne d'un blob alien, toujours caméra à l'épaule)

 

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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 23:19

 

 

 

Fat-Princess_LeadArt.hmedium.jpg

 

 

C'est un petit jeu, sorti pour la Playstation3 en juillet 2009 sur le PSN, et uniquement sur le PSN (c'est-à-dire téléchargeable en ligne, et uniquement en ligne). Petit jeu,graphisme sympa, principe simple, proche du jeu du drapeau : en équipe, vous devez kidnapper la princesse adverse, tandis que vous protégez la vôtre (il y a une mini-histoire derrière mais super compliquée, alors on s'en fout). la joie du jeu est de toute façon dans les combats à plusieurs et ses micro-stratégies, souvent chaotiques, mais pas suffisamment pour vous décourager. Vous avez le choix de plusieurs petites armes, de plusieurs petits tours de passe-passe, mais attention, pas tant que ça. Le plaisir du multijoueur est de toute façon, là, bien présent. Les petites giclées de sang qui sortent des mignons petits personnages kawai, les voix ridiculement haineuse ou héroïques, et la minuscule originalité (nourrir la princesse de gateau pour la rendre difficile à porter) suffisent à créer un climat de dessins animés cruel à la Happy Tree Friends.

 

  Fat princess happythreefriends

Happy Tree Friends ou la résurgence du danger inhérent à toute amitié... et des pinatas.

(L'image est drôle mais le dessin animé est naze ; je préviens)

 

Mais il y a au moins deux reproches souvent faits au jeu, et qui pour nous, représentent justement deux hérésies, deux défauts qui en font le sel.

 

fat princess recap580s

Chaos.

 

Un des reproches les plus fréquents sur les forums est le nombre assez restreint de personnages-types (cinq classes, dédoublées par up-grade par classes) et le peu d'améliorations qu'on peut effectuer au cours du jeu. Les reproches sont fondés, si on compare ce jeu au reste de la production actuelle. Car le joueur est habitué désormais à posséder toute une panoplie d'outils, d'armes, de combos, qu'il peut améliorer à tout moment dans le jeu, ou configurer minutieusement avant chaque partie. Mais dans ce jeu, il y a une hérésie vidéoludique fondamentale : toutes les améliorations sont réversibles. Vous n'avez aucun moyen de conserver des avantages acquis au fil des parties. Et au sein même d'une partie, les joueurs se trouvent presque en permanence à un niveau d'égalité parfait. Le tout petit up-grade n'empêche pas une équipe moins développée de gagner. Et la construction d'une catapulte qui aide le joueur à atteindre la princesse est parfois impossible dans certaines cartes. Enfin, les meilleurs coups, les plus rapides et les plus rusés s'effectuent souvent avec le personnage "nu", qui n'ayant pris aucune arme, court deux fois plus vite que les autres. Ce jeu est presque une ode à la dévolution.

 

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Sang.

 

  Le deuxième reproche est presque idéologique, et bouleverse un autre code du jeu contemporain. Il n'y a aucun moyen de constituer une équipe prédéterminée et de s'affronter par équipes. Tous les autres jeux multijoueurs ont fait leur beurre de cette forme d'association stable qu'est le jeu en équipe. A plusieurs, on peut se répartir les rôles, prévoir des stratégies d'attaque, et viser une efficacité maximale. Et surtout, ce mode de jeu fait buzzer toute la toile, et vend un certain communautarisme vidéoludique qui devient presque un prétexte politique vantant la spontanéité de ces auto-organisations démocratiques (en fait, carrément despotiques et conformistes). Or Fat Princess met ce mode de jeu en défaut. Il n'y a pas de possibilité de constituer des équipes. Et les seules tentatives se soldent sur les forums par un échec cuisant. Quoi que vous fassiez, vous restez seul face à la contingence des associations nouvelles et possibles.

 

Fat princess hobbes-leviathan

Les joueurs de Fat Princess constitueront eux aussi un grand Léviathan quand ils prendront conscience que la guerre est plus néfaste pour chacun que la paix. Mais pas maintenant.

 

Les joueurs ont compris que Fat Princess n'appartenait pas exactement à leur galaxie de jeu. C'est un jeu égalitariste, et chaotique, là où la plupart cherche une domination nette et ordonnée. Et le jeu tient à maintenir ces deux dimensions, car elles s'impliquent réciproquement de façon tout à fait hobbesienne. Le grand philosophe de l'état de nature comme état de guerre, Thomas Hobbes, donnait une raison toute simple et géniale à la production continuelle de conflits entre les hommes : le plus faible d'entre nous aura toujours assez de force ou de ruse pour tuer le plus fort d'entre nous. C'est donc l'égalité qui est productrice de conflits. Et c'est parce qu'on est tous également exposés à la peur et à la violence qu'on peut s'unir. 

 

 

"C’est pourquoi, si deux hommes désirent la même chose alors qu’il ne leur est pas possible d’en jouir tous les deux, ils deviennent ennemis ; et dans leur poursuite de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur plaisir), chacun s’efforce de détruire et dominer l’autre. "

Thomas Hobbes, Le Léviathan, Chapitre XIII.

 

 

Fat princess FatPrincess-02 normal

Dévastation.

 

Et justement, il y a ce truc formidable qui se passe à certains moments du jeu. En temps normal, vos potes de jeu choisissent tous des rôles différents, et agissent la plupart du temps, indépendamment de vous, même lorsqu'ils sont dans votre équipe. Mais il arrive qu'en plein milieu d'un combat, vous surviviez ensemble en adoptant une stratégie spontanément efficace. Et c'est beau. Vous êtes le prêtre qui soigne le garde qui défend le guerrier tandis que le mage ralentit les ennemis avec ses cercles de glace. Ouh, yeah, brother ! Et tout ça, c'est une petite bulle de loi de la nature au milieu d'un état de nature pur et dur. Très important : ce n'est pas une efficacité collective anticipable ou stable.

Car : 1) vous aurez du mal à la reproduire, parce que si un seul de votre bande de frères d'armes provisoires meurt, il renaîtra dans son chateau d'origine, et mettra trop de temps à revenir dans l'action. 2) Il vous sera toujours plus utile d'agir avec les membres de votre équipe les plus proches. Certains vous ignorent, certains vous aident un peu. Mais parfois, certains vous suivent, ou vous les suivez, alors que vous n'avez pour ainsi dire aucun contact si ce n'est de simples contacts mimétiques (je ramasse du bois avec toi, je tue les mêmes ennemis que toi...). Par exemple, si vous construisez ensemble un bâtiment, vous avez un peu de chance de vous aimer. Si vous sautez ensemble dans la catapulte pour envahir par voie des airs le château adverse, vous venez de trouver un ami. Et si vous avez un trop regarder les chevaliers du zoodiaque quand vous étiez petit, vous vous sacrifierez même pour l'aider à lancer sa bombe avant que tout le monde meurt dans une explosion aveugle à tout mérite personnel.

 

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C'est exactement le genre d'images que gardent en tête les joueurs qui ont pu croiser ma route.

 

Le succès idéologique de ce jeu est assez facile à expliquer. En inhibant toute association aristocratique, il nous plonge dans un "chacun pour soi" digne du plus sauvage des capitalisme (même l'appartenance à l'équipe bleue ou rouge est susceptible d'être bouleversée si vous ramassez une boule qui vous fait passer dans le camp adverse – que vous pourrez éventuellement saboter... ehehe) où le plus médiocre a toujours sa chance de tuer le plus valeureux. Et c'est dans cette contingence absolue des amitiés que parfois croiser un prêtre qui soigne vos blessures, tandis que vous soignez les siennes, est un vrai petit réconfort pour le coeur. Le personnage du prêtre a d'ailleurs vraiment cette propension décuplée à la fraternité, parce qu'il soigne, certes, mais surtout parce qu'à l'écran, on voit la direction de son faisceau régénérant. Vous pouvez indiquer le sens de votre sympathie avec le pad, juste avant de mourir sous le feu d'atroces brûlures... et en espérant que ceux que vous avez soigné se souviendront que jusqu'à la mort, vous avez tendu votre bâton magique dans leur direction.

 

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L'amitié, toujours plus noble et plus diététique que le mariage...


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