Le renne robot tueur ?
Sur facebook, j'ai risqué ma réputation pour ce film. J'ai promis à tout le monde un émerveillement comique sans borne. D'abord la joie de voir à l'écran se confirmer le talent de Jemaine Clement, le néo zélandais fou des Flight of the Conchords.
L'équipe du film (de haut en bas et de gauche à droite) :
Jared Hess, Jemaine Clement, Sam Rockwell, Susan May (ou pas...), Mike White, Michael Angarano.
Et puis, il y a Sam Rockwell qui parodie son propre rôle de Moon (le premier film de SF du fils de Bowie où Sam Rockwell est seul dans une station orbitale découvrant son propre cadavre).
Et puis, il y a ce générique de covert art de vieux bouquins de SF. Ok, à bien y regarder Jared Hess fait ça dans tout ses films. Mais c'est un pur plaisir de geek. La couv du champignon carnivore avec du rouges à lèvres et des dents est folle à lier. Plus mineure mais typique, celle du grizzly de l'espace avec des tournevis à la place des pattes. Enfin la plus belle, celle de l'alien poète aux yeux globuleux qui joue de l'holophone, fashionement habillé d'une cape hippie multicolore.
En plus de tout ça, il y a les mêmes acteurs freak des films de Jared Hess : l'un d'entre eux ressemble au blondinet léthargique à la lèvre pendante de Napoleon Dynamite, un autre a joué dans Nacho Libre (l'enfant sauvage mexicain orphelin qui déteste les orphelins)...
Et, ultime glaçage avant de manger le gâteau : il y a cette chanson géniale de Zager et Evans, In the year 2525, qui se chante au futur antérieur (chanson de 1964), et qui raconte chaque étape de l'évolution humaine pour les prochains dix milliers d'années.
Mes arguments étaient pointus, je le reconnais. Pourtant, je ne pensais pas qu'on viendrait encore me dire que le film était drôle mais sans plus. Donc, je dois trancher, expliquer, sélectionner ?... Eh bien soit ! S'il n'y avait qu'une chose à retenir de Gentlemen Broncos... ce serait les scènes de (Scifi) Fantasy Fiction !
Une copine australienne fan de Jemaine Clement m'a assuré que les scènes real life de looser sont bien plus drôles. Pourtant, je persiste. Et pour deux raisons (tambour tribal cosmique svp). Un : Les scènes IRL sont moins rythmés, parfois chiantes. Deux : les scènes de SFFF (Scifi Fantasy Fiction) ne sont pas seulement parodiques, elles sont magiques. Purely magical ! Et c'est à mon sens, toute la différence entre l'humour français pourrrrrrrrrri et l'humour anglo-saxon géééééééénial. En toute objectivité, bien sûr.
J'explique un peu le film. C'est l'histoire de Benjamin Puruis, jeune fan de SF, orphelin de père, vivant chez sa mère, et obligé de vendre les modèles de robes de nuits de sa mère pour faire vivre le foyer post-hippie. Mais surtout, Benjamin a écrit une histoire de SF, qui s'appelle "Yeasts Lords, The Bronco Years", où il jette toutes ses frustrations, et tous ses espoirs de devenir un jour un homme viril et barbu, parcourant les planètes sauvages sur le dos d'un élan mécanique. Sur le dur chemin de la vie (le temps d'un été, en fait), Benjamin va rencontrer des gens qui l'encouragent, mais aussi qui s'emparent et trahissent l'histoire de Bronco. Le film alterne récit real life (une sorte de Groland US) et saynètes illustrant le récit de Benjamin, "Yeasts Lords". Mon point est le suivant : ces scènes auraient pu être un film en soi. Et pas nécessairement un film comique.
Benjamin Puruis saura-t-il défendre son chef d'oeuvre contre le guru
Ronald Chevalier (Jemaine Clement)
Dès que la lecture du roman de Benjamin, le héros loser, commence, on se dit "merde, comme Benjamin est supposé être un peu un naze qui aime la SFFF et qu'il rencontre un écrivain célèbre qui bosse déjà pour le cinéma (Jemaine Clement), pour bien montrer ça, le réalisateur va nous faire un remarke débile avec des Ewocks où voit les ficelles et les petits jambes arquées des nains qui bougent à l'intérieur." Mais non ! Ou alors, on pourrait se dire : "merde comme Benjamin est un looser magnifique et que son film tombe entre les mains d'une bande d'ados tarés, on va avoir le droit à un petit film d'animation magique et cheap, à la Gondry..." Mais non !
Dès que la musique vintage lance le film dans le film, on capte aussitôt une dimension réellement onirique, où coexiste univers froid des films de SF et personnages de far west. L'ensemble donne quelque chose proche des films expérimentaux, et proche de 2001 L'Odyssée de l'espace (enfin... j'ai conscience de la faiblesse de mon argument... dire que ça ressemble à un film expérimental revient à dire que ça ne ressemble à rien de connu, autrement dit que ça ne ressemble à rien...). Bref, le film dans le film est un vrai film. On joue la SFFF au premier degré, et pas en faisant des gros clins d'oeil comme dans les films français. Les acteurs vivent leurs rôles de Bronco, de Daysius/Dennis, de Vanaya. Ils ne jouent pas faux, ils jouent vrais, il jouent western cosmique, simplement avec quelques vannes visuels en plus (éventuellement en rotant et en vomissant – mais c'est secondaire). Pour bien faire contraste, on a le droit à la version cheap des ados tarés qui achètent le scénario à Benjamin. Et effectivement, dans ces passages, Jared Hess tire sur des grosses ficelles, tout en ayant au moins l'intelligence de montrer ce que le film mental de Benjamin n'est pas.
Bronco rencontre Vanaya, soeur de lait du messie des Yeasts Lords.
Jared et Jerucha Hess (sa femme, co-scénariste) ont donc parfaitement pigé que la parodie n'est rien si elle n'est qu'une projection de vannes sous prétexte de films de genre. La greffe ne prend jamais dans ce cas-là (si seulement je pouvais être lu par le monde du cinéma français... merde ! Pourquoi n'ai-je pas décidé d'être un surpuissant producteur incompétent !?). Quand c'est le cas, on a le droit aux vannes de papa qui mate un film de SF pour la première fois (ce pourquoi la soupe aux choux est pourri quand on a seize ans, et devient drôle à partir de trente) : "Et si les extraterrestres étaient en fait des suédoises super bombasses !" (le gendarmes et les extraterrestres) "Et si l'alien faisait des claquettes en sortant du ventre" (la folle histoire de l'espace, de Jerry Lee Lewis... scène qui m'a traumatisé pendant longtemps).
Le secret de tout bon film comique.
Montrer l'écart entre la vie (Benjamin en robe de chambre) et l'art (Ronald Chevalier l'imposteur).
Gentlemen Broncos est bien plus malin. La parodie qu'il propose n'est pour ainsi dire plus une parodie, c'est un méta-genre. Le film est chargé d'explorer et synthétiser un genre cinématographique jusqu'à son extrême limite, c'est-à-dire jusqu'au point où ce genre devient une vision du monde et un mode de vie. Autrement dit, la parodie subtile montre ce qu'est un genre selon un fan pour un public néophyte. Une parodie montre ce qu'est vivre en tant que fan de SF pour un public pas fan de SF. Il n'y a pas meilleur moyen de savoir comment on vit la science fiction qu'en matant ce film. Le comique naît du fait qu'on y suit un fan subit lui-même les avaries de son fanatisme. Ce Gentlemen Broncos touche au coeur de ce qu'est l'art en général, et au coeur de ce que sont les fans en particulier. Un film n'est pas la réalité. Et un fan est celui qui accepte cette sentence quitte à être parfaitement asociable, looser, et inadapté. L'humour des comédies US est l'envers du rêve américain (ouh putain, je crois que je viens de dire une grosse banalité) : quand les gens rêvent trop fort, ils deviennent des inadaptés. L'inadapté des comédies françaises n'existe nulle part. Celui des comédies US existe bel et bien, et du coup, il n'y a que là, qu'on voit à quel point la comédie américaine est normative et étouffante.
Gentlemen Broncos est une réussite totale pour ça. Il montre les deux aspects de cette vie de fan : ce qu'il voit et ce qu'il fait. Je laisse de côté ce qu'il fait, même si ça fixe bien le personnage : le père de Benjamin est mort, il vit plus que dans les jupes de sa mère, mais littéralement dans ses robes de chambres, et dans le reste de l'utopie architectural de son père. A partir de ce mini diagnostic sociologique, on sait ce que voit le personnage dans le film de SF : un moyen de retrouver son père (le problème de tellement de films...), de projeter son courage, et sa virilité au milieu d'un univers totalement étrange.
"What's the crap ! Oh... My gems !
– Sorry, Bronco, we had to borrow one of your gonads."
Si je n'avais vraiment qu'une scène à retenir, ce serait la première : Bronco se réveile sur une table d'opération, ligoté. Il vient juste de se faire emprunter une gonade par le clone de son ennemi ultime, Daysius, pour créer une armée de Bronco. Dennis, le clone de Daysius, parle avec un accent étrange, pas forcément drôle en soi, mais drôle parce qu'on s'imagine que pour Benjamin, un méchant est un homme distingué, un peu efféminé, et si pervers qu'il redevient un môme dès qu'il s'apprête à torturer quelqu'un.
"We only took one !"
Ce qui m'a fait marrer un peu moins silencieusement dans mon train en direction de Montpellier, c'est exactement ça : la vision du monde de Benjamin. L'histoire reflète parfaitement cette peur d'ado face à l'éventualité de perdre une si fragile virilité. Bien sûr, Daysius le voleur de couilles est l'image déformée de la mère de Ben. Le héros, Bronco, est littéralement l'image du mâle que tout ado rêverait de devenir : super viril et sans peur – ce qui prend la forme d'une super barbe de prêtre orthodoxe et d'une façon de jurer comme un paysan qui tranche avec le labo aseptisé de la base.
(Bronco :) "Release me ! My cat is hungry"
Bref, dans cette Weltsanschauung, il y a des failles, des contradictions, mais qui reflète mieux encore les motivations profondes de Benjamin. La confrontation entre Daysius et Bronco finit quand le chat sauvage de Daysius sort de nulle part et saute à la gorge de Dennis. Nos histoires de gamins sont exactement celle-ci, et ça m'a sauté aux yeux. D'un côté, le fantasme de devenir nous aussi de grands hommes tout puissant (Actarus monte dans son Goldorak). Mais aussi, soudain, des petits animaux sympas et rigolos qui suivent le héros partout ou sortent de nulle part, qui nous rappellent que nous sommes des enfants.
Gentlemen Broncos fait des petits.